Argumentation et persuasion dans Les Pensées de Pascal
Par Raze • 20 Juin 2018 • 1 989 Mots (8 Pages) • 611 Vues
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de la fausseté des plaisirs présents et
l’ignorance de la vanité des plaisirs absents cause l’inconstance. » (allitérations en [s] et [z]) ; fr. 98 « Le bec du perroquet qu’il essuie quoiqu’il soit net » (assonances en [Ɛ] allitération en [k] → effet amusant) ; fr. 72 : « Curiosité n’est que vanité […] » …
- figures par amplification :
• Hyperboles : fr. 126 : « mille causes essentielles d’ennui » recours fréquent au superlatif ( fr.
41 « le plus grand philosophe du monde[…] » ; fr. 87 : « Le plus grand des maux est les guerres civiles. » ; …
• Accumulations et énumérations: fr. 51 « […] Ce sont des orgues à la vérité, mais bizarres,
changeantes, variables. […] » ; fr. 61 …
c) surprendre :
Pascal veut dérouter son destinataire, lui faire perdre ses repères :
- figures par opposition :
• Antithèses et oxymores : fr. 41 « […] Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses
malades, ses riches, ses pauvres. […] Notre propre intérêt est encore un merveilleux instrument pour nous crever les yeux agréablement. […] » ; fr.44 « Le plaisant dieu que voilà ! O ridicolosissime heroe ! » ; fr. 75, 120, 121 …
• Antiphrases : utilisation des adjectifs « raisonnable », « sage », « admirable » le + souvent
dans un sens contraire ; fr. 56 « cette belle raison « ; fr. 82 : »Cela est admirable » …
• Paradoxes : fr.31 : « rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu’il y en a qui ne sont point
pyrrhoniens. […] la faiblesse de l’homme paraît bien davantage en ceux qui ne la connaissent pas qu’en ceux qui la connaissent. » ; fr. 56 p. 89 : « […] cela suffirait sans doute si la raison était raisonnable.[…] » …
- figures syntaxiques :
• Anacoluthes : cf. 41 « […] Le plus grand philosophe du monde […] son imagination
prévaudra. […] » ; fr. 392 : « […] Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. » …
• ellipses : fr. 19, fr. 35 « de même » ; …
• parataxe, asyndètes : fr. 104 « Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit […] ; par la
pensée, je le comprends.», fr. 19, 25, 56 …
3°) le recours à différents registres
On s’attendrait à ce que cette œuvre utilise essentiellement le registre didactique, étant donné le dessein poursuivi par son auteur, or si ce registre est effectivement présent (maximes, formules « Il faut », « Il ne faut pas » ; exposé de différentes doctrines …) il est mêlé à une grande variété d’autres :
- registre polémique: attaques contre les différentes philosophies, contre les libertins ; portraits plaisants des magistrats et médecins …
- registres comique et satirique : critique de la société humaine, portraits plaisants des magistrats et médecins, utilisation de l’ironie, disproportions amusantes ( fr. 16, 44, …) …
- registre lyrique : Pascal n’hésite pas à exprimer ses sentiments : étonnement, douleur, indignation …; ex. fr. 122 : indignation marquée par expressions dévalorisantes, impératifs, forme exclamative ;
- registre tragique : la vision de la condition humaine donnée dans les liasses au programme est éminemment tragique : l’homme est condamné à mener une vie totalement dénuée de sens ; ( fr. 33, 64, 122, 125…)
- registre pathétique : insistance sur la faiblesse humaine (images du « roseau », du « ver » ; fr. 64 : tableau saisissant de l’abîme + interrogations poignantes; lexique du malheur dans la liasse « Misère »… )
→ grande variété des moyens mis en œuvre par Pascal pour persuader son lecteur ; travail évident sur la langue ; souvent plusieurs procédé convergent pour donner au texte toute sa puissance → parfois véritables passages poétiques (cf. fr. 121, adopte présentation poétique ; cf.fr. 64 // poème en prose : construction syntaxique très élaborée : période , jeux sonores et rythmiques, procédés d’insistance …).
Eléments de conclusion générale :
Selon Eric Tourrette les Pensées constituent « le plus efficace manuel pour la dissertation. » : extrême diversité des procédés utilisés pour convaincre ; savant mélange de rigueur argumentative et de force persuasive : le génie protéiforme de Pascal se retrouve dans cette œuvre comme le souligne J. Mesnard en évoquant l’alliance inédite entre la « science positive » et la littérature. Les Pensées mettent parfaitement en application les trois impératifs de la rhétorique classique « docere, placere, movere » mais semble accorder davantage d’importance au dernier car le verbe pascalien « se propose d’être irrésistible comme [le Verbe divin], d’emporter le cœur et de faire des miracles dans l’âme du lecteur libertin. » → même les critiques les plus hostiles à la pensée de Pascal reconnaissent dans l’ensemble sa maîtrise oratoire ; ainsi Z. Tourneur, pourtant libre-penseur, voit en lui « un artiste, poète et orateur, incomparable, au langage pittoresque et rythmé » et précise : « C’est à ce domaine que je réduis mon admiration pour Pascal, mais sans réserve. »
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