La scène de meurtre, L'Etranger. Albert Camus.
Par Christopher • 5 Septembre 2018 • 2 552 Mots (11 Pages) • 667 Vues
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Enfin, nous parlerons de notre anti-héros de l’absurde. En effet, on ne peut donner à Meursault le titre de héros tragique. En réalité l’acte, le crime qu’il a commis est inexplicable, l’argument de la légitime défense ne peut être accepté quand on sait que l’Arabe était « assez loin » (l.15) de lui et qu’il ne possédait qu’un « couteau » (l.29) Meursault aurait pu se contenter de l’intimider.
De plus, il tire « quatre fois » (l.54) sans manifester d’émotions. Ces quatre balles ont été tirées en toute conscience comme Meursault le dis, il a « compris » (l.51) que sa vie allée changer à ce moment-là. Il décide d’assumer le destin qui s’est, jusqu’à présent, acharné contre lui et par ces « quatre coups brefs » (l.56) il prône son statut de meurtrier.
De manière absurde, Meursault semble agir indépendamment de sa volonté. En effet, pour lui « la gâchette a cédé » (l.47), le sujet dans cette phrase représente le révolver de Meursault. Celui-ci semble se dédouaner du premier coup de feu, on pourrait croire que le pistolet a tiré tout seul. Le coup de feu est évoqué de manière indirecte par Meursault avec un ellipse temporelle, comme si les choses s’étaient passées indépendamment de lui-même.
De surcroit, l’aveuglement de Meursault par ce « voile » (l.35) de sueur qui couvre ses yeux est en fait une image métaphorique qui lui empêche de voir la vérité, il ne sait sans doute pas ce qu’il fait. Le narrateur est véritablement en pleine confusion comme le montre l’allitération en [s] « j’ai secoué la sueur et le soleil », ce n’est qu’après avoir tiré le premier coup qu’il retrouve la vue et devient lucide. Il « a compri[t] » que cet acte amène une cassure irrémédiable dans sa vie, en fait pour la première fois il semble accéder à la conscience. Le geste qu’il commet dans l’aveuglement débouche sur une prise de conscience.
De fait, il devient conscient qu’il « avai[t] été heureux » (l.53), pour la première fois il utilise un modalisateur affectif appartenant au champ sémantique du bonheur. De plus, il se rend compte du bonheur qui avait été le sien, comme le souligne le plus-que-parfait employé précédemment, qui montre bien la rupture entre le passé et le moment présent. Il comprend qu’il perd son « équilibre » (l.52) de vie, le coup de feu étant le détonateur qui a permis l’éveil de sa conscience. C’est sans doute parce qu’il sait que son acte est irrémédiable qu’il va « tiré encore quatre fois » (l.54), il sait qu’il ne sera plus heureux, alors il décide non pas de subir son destin mais de le prendre en charge, comme le montre le pronom « je » c’est un acte volontaire « j’ai tiré » (l.54) ou encore « j’ai frappé » (l.57). Plutôt que d'être victime de l'absurde, il décide d'assumer son geste en le réitérant ostensiblement 4 fois, c’est un geste d’affirmation de soi. Et pourtant il reste lucide quant à ce qu’il en découlera, il sait qu’il ferme la porte de son bonheur et ouvre « la porte du malheur » (l.57), celle-ci est une métaphore qui permet de passer de l’inconscience à la conscience ou encore du bonheur au malheur.
La transformation psychologique de Meursault est assez forte pour qu'un nouveau langage se fasse sentir chez lui. Meursault narrateur écrit l'histoire après qu'elle se soit passée alors que dans l’incipit le système d’énonciation est propre au journal intime, il utilise le présent d’énonciation. Ici, nous avons la naissance d’une écriture subjective, l’énonciation est au passé « j’ai tiré » (l.54) et le narrateur est capable d’analyser l’histoire avec rétrospection. On remarque également tout au long de l’extrait des phrases plus longues et complexes « la journée […] avait jeté l’ancre dans un océan de métal bouillant » (l.4/6), également la multiplication des détails descriptifs notamment des sensation tactiles, visuelles et auditives, « le front surtout me faisait mal » (l.21) mais aussi l’apparition d’un vocabulaire poétique « La mer a charrié un souffle épais et ardent » (l.43), il utilise encore des périphrases hyperbolique « glaive éclatant » (l.39), « épée brulante » (l.40) avec une gradation qui révèle de l’exagération épique.
C’est la première fois que Meursault nous donne autant de détails de la situation, lui qui fait habituellement des phrases courtes nous propose ici un récit semblable à une prose poétique. En effet, notre personnage qui semblait jusque-là entièrement détaché du monde, comprend que sa vie avait été heureuse, et que le cours de sa vie n’est que le résultat de l’absurdité du monde.
Nous pouvons terminer en disant que le soleil de par ses flammes infernales va venir perturber Meursault, le faire souffrir le martyre, donnant au personnage l’impression d’être en enfer. Ce qui va le contraindre à agir inconsciemment car en réalité il cherche une issu pour s’en sortir, s’éloigné du soleil. Malheureusement, le soleil enclenche un engrenage tragique des événements, en effet ce dernier l’éblouit, le brule et l’assourdit même. Meursault, victime des éléments et de son destin absurde se retrouve alors meurtrier. Nous assistons par la suite, à l’éveil de Meursault qui accepte son sort, paradoxalement c’est un geste libératoire, il ne subit plus, il agit. Meursault modifie ainsi son langage, sa manière de décrire ses ressentit est beaucoup plus poétique et il utilise un registre à la fois épique et tragique. Notre personnage qui était jusque-là étranger aux émotions et passif dans ses actions, va réaliser le bonheur qu’il a pu connaitre et qui ne reverra sans doute jamais, puis va décider d’affronter l’absurde et d’assumer son destin.
L'absurde est une philosophie qui revendique l'absence de divinité comme « principe organisateur » : si Dieu n'existe pas, le monde n'a pas de sens, il est chaotique. Mais ce chaos ne doit pas nous désespérer : il faut lutter continuellement comme Sisyphe qui pousse chaque jour son rocher, s'engager politiquement et socialement pour se donner un sens. Albert Camus illustre ce principe dans ce récit, même si celui-ci reste encore bien ancré dans la tragédie.
On apprendra plus tard que Meursault n’a pas foi en Dieu, ce qui lui sera reproché à son procès. Mais en réalité de par sa passivité Meursault n’a jamais lutter, ni donner de sens à sa vie jusqu’au moment du meurtre où celui-ci intègre sa destinée absurde.
Camus souligne donc dans cette œuvre que, ce n’est qu’une fois que l’absurdité du monde est accepté que nous pouvons accéder à la lucidité d’agir.
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