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Deux Salomés : l’utopie chez Flaubert et chez Wilde

Par   •  23 Décembre 2017  •  3 648 Mots (15 Pages)  •  652 Vues

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Dans  Hérodias , le corps de la femme orientale réelle est représenté non pas par une couleur unique, mais par un ensemble et une surabondance de couleurs.

Cependant, dans cette œuvre, seulement une couleur a un sens particulier. Il s’agit de la couleur rouge. Cette importance devient d’autant plus claire quand on regarde le manuscrit. Lorsque Salomé rentre en scène pour danser, son visage est caché par un voile, de manière à ne pas être vu par les spectateurs. Dans le manuscrit f. 400(637r), cette scène est décrite ainsi: « sous un voile [ill]couleur lie de vin qui […] cachait la tête ». De plus: « Au frémissement de ses vertèbres l’étoffe mordorée de son dos chatôyait ». Dans l’édition définitive, toutes références à la couleur rouge ont été effacées. Mais, la couleur de l’étoffe portée par Salomé et qui a pour rôle de cacher son visage et son corps, c’est à dire son identité, n’a pas été choisie ou effacée par hasard. Voyons maintenant l’arrivée en scène de Hérodias dans l’édition définitive:

Une simarre de pourpre légère l’enveloppait jusqu’aux sandales. Sortie précipitamment de sa chambre, elle n’avait ni colliers, ni pendants d’oreilles ; une tresse de ses cheveux noirs lui tombait sur un bras, et s’enfonçait, par le bout, dans l’intervalle de ses deux seins.

Hérodias est donc entièrement vêtue d’une robe rouge. On peut penser que ce rouge, symbole d’Hérodias, dénote sa très forte volonté, sa grande capacité d’action et son dynamisme. En fait, ce qui entoure Salomé pour cacher son corps n’est que l’expression de la volonté d’Hérodias.

En somme, dans l’œuvre de Wilde, Salomé est l’image de sa beauté orientale idéale, qui englobe le Sacré et le païen dans la Bible, alors que la Salomé de Flaubert, qui est le corps réel de l’Orient, est le symbole de la volonté orientale de détruire l’idéal du christianisme, emblématique de l’Europe à cette époque.

2. Les regards

Alors, pour quelles raisons ces deux auteurs ont ils chacun décrit l’esprit et la beauté orientale par des couleurs à l’opposé du style européen ? Pour être fasciné par les couleurs des pays de l’Orient, les voir avec un regard européen est indispensable. En fait, il n’est pas faux de dire que les références à « regarder » sont omniprésentes dans l’œuvre de Salomé. Salomé, qui voulait regarder Iaokanann, demande au Syrien de le faire sortir de prison. Le Syrien permet à Salomé de regarder Iaokanann, en désobéissant aux ordres du roi Hérode, à la condition que celle-ci accepte de le regarder à travers son voile. Pour le Syrien, la joie d’être regardé, même indirectement par la personne qu’il aime, surpasse tout, au point de ne pas craindre de se perdre lui-même. D’une part, quand Salomé voit Iaokanann, au debut elle est écrasée par la crainte de son regard: «Ce sont les yeux surtout qui sont terribles. On dirait des trous noirs laissés par des flambeaux sur une tapisserie de Tyr. On dirait des cavernes noires où demeurent des dragons, des cavernes noires d’Egypte où les dragons trouvent leur asile». Mais elle ne peut s’empêcher de le regarder: «Je veux le regarder de près».

Toutefois le seul intérêt qu’Iaokanann a vis à vis de Salomé est le fait qu’elle ressemble à Hérodias. En faisant des reproches incessants à Hérodias, il essaie ainsi de l’appeler à lui: « Quoiqu’elle ne se repentira jamais, mais restera dans ses abominations, dites-lui de venir ». Mais, en s’adressant à Salomé, il lui dit de disparaître de sa vue: «Je ne sais pas qui c’est. Je ne veux pas le savoir. Dites-lui de s’en aller». D’autre part, Hérode cherche toujours Salomé: «Où est Salomé ? Où est la princesse ? Pourquoi n’est-elle pas retournée au festin comme je le lui avais demandé »)?

En somme, le regard du jeune Syrien se dirige vers Salomé, mais celle-ci n’a d’yeux que pour Iaokanann. Pourtant c’est Hérodias que Iaokanann veut appeler devant lui. Quant à Hérodias, elle reproche à son mari de constamment regarder Salomé, mais Hérode continue de regarder uniquement Salomé. Ainsi, l’objet de leurs regards commence et finit par Salomé, décrivant ainsi un seul cercle d’amour.

Toutefois dans Salomé, aucun de ces regards ne se croisent jamais. D’abord, Salomé ne repond pas sincèrement au regard du Syrien, puis Iaokanann repousse Salomé qui est en train de le regarder en lui disant: «Qui est cette femme qui me regarde ? Je ne veux pas qu’elle me regarde». D’une part, Hérodias, appelée par Iaokanann, affirme nettement son intention de ne jamais le rencontrer: «Mais je ne peux pas souffrir le son de sa voix. Je détéste sa voix. Ordonnez qu’il se taise». D’autre part, Hérode ignore complètement le conseil que lui a donné Hérodias de ne plus regarder Salomé. De plus, de tels regards de la part Hérode ne sont pas acceptés par Salomé: « Pourquoi le tétrarque me regarde-t-il toujours avec ses yeux de taupe sous ses paupières tremblantes ?… C’est étrange que le mari de ma mère me regarde comme cela. Je ne sais pas ce que cela veut dire...Au fait, si, je le sais».

Ensuite, à la fin, Salomé déclame le monologue suivant à la tête tranchée d’Iaokanann:

Ah ! pourquoi ne m’as-tu pas regardée, Iokanaan ? Derrière tes mains et tes blasphèmes, tu as caché ton visage. Tu as mis sur tes yeux le bandeau de celui qui veut voir son Dieu. Eh bien, tu l’as vu ton Dieu, Iaokanaan, mais moi, moi)tu ne m’as jamais vue. Si tu m’avais vue , tu m’aurais aimée. Moi, je t’ai vu Iokanaan, et je t’ai aimé.

En fait, le refus du regard, symbole de l’amour, est lié directement à la mort. Le Syrien se suicide par trop d’amour pour Salomé qui refuse jusqu’à son regard et Iaokanann s’est fait trancher le cou pour avoir refusé les regards de Salomé. De plus, Salomé elle-même perd la vie pour avoir refusé les regards répugnants que lui portait Hérode. La pièce finit par le meurtre de Salomé, mais il est intéressant de noter que cette mort est entièrement le fruit de l’imagination de Wilde. Les morts d’Hérode et d’Hérodia, qui ne sont pas écrites dans la pièce, sont reconnues historiquement selon la prédiction faite par Iaokanann. Par contre, la mort d’une petite fille anonyme dans la Bible se perd dans l’ambiguïté. En réalité, dans les œuvres des autres écrivains à propos de Salomé, celle-ci ne meurt jamais.

En somme, on peut penser que si Wilde a finit son œuvre avec une fin incroyable décrivant la mort de Salomé, c’était

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