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Corbière, le Crapaud

Par   •  5 Juillet 2018  •  1 669 Mots (7 Pages)  •  368 Vues

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c’est moi » ) est détachée du reste du poème par un vers fait de points de suspension. L’ambiguïté des paroles s’intensifie encore avec l’absence de majuscule à « ce » devant « crapaud », ne permettant pas de savoir s’il s’agit d’un changement d’interlocuteur ou bien d’un tiret évoquant une parenthèse : le poète se parle-t-il à lui-même, comme dans un aparté de théâtre ?Par ailleurs, on note une opposition dans les réactions des deux interlocuteurs : l’un se veut protecteur et l’autre angoissé. Cette opposition est croissante et accentuée par l’exclamation double « Horreur !! » suivie de l’interrogation « Horreur pourquoi ? ».

C – Glorification d’un crapaud

Tristan Corbière opte pour un ton assez ironique.La ponctuation hache le texte et montre des paroles confuses autour du crapaud.Le langage est familier et oral avec une tournure grammaticalement incorrecte : « Vois-tu pas son œil de lumière » (au lieu de « Ne vois-tu pas ») où il manque même le point d’interrogation remplacé par des points de suspension.De plus, les images qu’il crée, pour évoquer poétiquement le crapaud, sont plutôt triviales : « poète tondu, sans aile » est une métaphore peu flatteuse pour parler d’un crapaud. Quant à l’oxymore « rossignol de la boue », il ne le valorise pas davantage.Le poète semble vouloir défendre et glorifier l’animal sans y parvenir. La réaction est sans appel : un crapaud est une « horreur ».Enfin, l’étude des sonorités du poème montrent des assemblages assez discordants. L’auteur crée par exemple des allitérations en associant la consonne liquide -l aux occlusives -p, -k, -t, -d :

« – La lune plaque en métal clairLes découpures»Ou bien en associant ces mêmes occlusives avec la vibrante -r :

« – Un crapaud ! – Pourquoi cette peur,Près de moi, »Définitivement, le chant du crapaud n’est ni harmonieux ni glorieux !

Transition : Le poète s’est affranchi de la tradition lyrique tout en montrant qu’il en connaît les règles et la rigueur. Il se joue du romantisme classique pour créer un autoportrait par autodérision.I

II – Autoportrait du poète

A – Une découverte progressive

Dans les deux premiers tercets, on est à la recherche de l’animal qui donne son titre au poème : « Le crapaud ». Mais seuls quelques éléments inquiétants du cadre romantique sont présentés.La première fois où l’auteur désigne le crapaud, c’est par le pronom indéfini « Ça » au vers 6, reprit par « c’est là », manière à la fois péjorative et mystérieuse de le nommer.Puis, comme dans une chasse au trésor, on passe de l’auditif au visuel avec l’exclamation « – Un crapaud ! » en début de quatrain, qui établit la reconnaissance de l’animal. Sauf que le résultat de la recherche provoque la peur et déçoit.

Le crapaud est rapproché du poète une première fois au vers 9 par le pronom complément : « Vois-le, poète tondu, sans aile ». On pense bien sûr au poème de Baudelaire « L’Albatros » où l’auteur perçoit son oiseau comme un « voyageur ailé » « gauche et veule » et auquel « le poète est semblable ».Enfin, après un vers constitué de points de suspension, qui place le lecteur dans un effet d’attente – c’est une aposiopèse – le poète dévoile son énigme, comme une chute : « ce crapaud-là c’est moi ».La tournure emphatique (« C’est moi« ) ajoute à l’effet d’annonce et place le pronom « moi » en dernière position, pour clore le poème dont le titre était « Le Crapaud » comme s’il voulait boucler la boucle. Mais cette révélation finale invite à une relecture du poème.

B – Une caractérisation en demi-teinte

Le crapaud est un animal qui suscite généralement le dégoût et l’effroi. Il rappelle ainsi « Le Lombric » de Jacques Roubaud où le poète est assimilé au ver de terre travailleur.Le crapaud n’attire que des remarques à connotations péjoratives : « Horreur ! » . De plus, il semble voué à ne pas savoir chanter ni voler : « sans aile ».Néanmoins, la métaphore « son œil de lumière » semble indiquer un regain d’humanité et d’intelligence.L’animal apparaît donc comme contradictoire, ce qui est souligné dans l’oxymore « Rossignol de la boue » qui le montre de façon paradoxale : incapable de voler ou de chanter harmonieusement, il fournit pourtant des efforts pour attirer l’attention.

C – L’image du poète

Corbière présente ainsi son autoportrait : il se sent exclu et laid et son sonnet inversé lui sert un peu d’exutoire. Il évoque ainsi ses incertitudes à travers un rythme très saccadé, hésitant.Il se sent poète maudit avant l’heure, comme le décrira Verlaine en 1884 dans son ouvrage Les Poètes maudits. Son destin est nécessairement tragique et annoncé au pénultième vers : « il s’en va, froid, sous sa pierre ».Le poète reste face à sa solitude car rejeté, méprisé. Il est obligé de ne chanter que la nuit et son chant reste incompris. Malgré tout, il incarne certaines valeurs de politesse et d’humilité : « Bonsoir ».A travers sa condition de poète maudit, il délivre aussi un message plus universel sur la condition des poètes et présente la solitude et l’isolement qui sont le quotidien des poètes. Incompris, ils ne sont pas pris au sérieux comme le souligne la synérèse placée sur le mot « poète ».

Ce poème présente l’assimilation du poète avec le crapaud, dans un sonnet à l’envers, et montre de façon originale la dérision avec laquelle Corbière se considérait mais aussi comment le poète est perçu dans la société. Ce poème, autoportrait d’un poète maudit, peut être rapproché de « L’Albatros » de Baudelaire.

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