Commentaire Composé Tartuffe cas
Par Andrea • 1 Mai 2018 • 1 342 Mots (6 Pages) • 637 Vues
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Dorine fait donc un portrait à charge de l'imposteur : forcée de donner de ses nouvelles à Orgon qui se désintéresse totalement de la santé de sa femme, elle tire son épingle du jeu et en profite pour brocarder le faux dévôt qui “gros”, “gras”, la bouche “vermeille” semble davantage du côté de la satisfaction des appétits les plus bas que de la spiritualité et de l'ascétisme. C'est un corps que veut se satisfaire plus qu'un esprit.
Malgré l'absence de didascalies qui fait véritablement de ce texte un texte “troué” (Anne Ubersfeld), on peut imaginer la drôlerie du ton et des gestes de Dorine. Car cet extrait - et c'est ce que nous essaierons de démontrer dans une deuxième partie- est à la fois drôle et tragique, conformément au mélange des genres que Molière pratique dans ses “grandes comédies”.
La drôlerie est évidente parce que, nous l'avons dit, les deux interlocuteurs sont en décalage constant. Orgon ne s'intéresse pas à sa femme, pourtant dans un état inquiétant et s'entête à plaindre un homme dont on lui dit d'emblée qu'il “se porte à merveille”! C'est comme s'il ne comprenait pas ce que Dorine lui dit. Plus Dorine donne des informations rassurantes sur Tartuffe, plus il étale sa commisération. A trois reprises, il s'exclame sans ironie aucune : “Le pauvre homme!”. On est dans un procédé très fréquent dans la comédie : le comique de mots, basé ici sur la répétition d'une réplique absurde. Le comique, nous l'avons également suggéré, peut être un comique de gestes. Dorine, servante délurée peut joindre le geste à la parole quand, par exemple elle dit que Tartuffe est “gros” et “gras”. Il semble assez facile d'imaginer des mises en scène qui mettent en évidence la drôlerie du passage, en insistant sur le contraste avec le ton angoissé puis plaintif d'Orgon et le ton amusé et sarcastique de la servante parlant de Tartuffe.
Orgon est bel et bien ridicule et en cela peut déclencher l'hilarité des spectateurs. Mais il est aussi inquiétant. En effet, il semble dépossédé de lui-même, incapable d'entendre et de dialoguer. Il répète mécaniquement deux répliques. Il fait partie de ces monomaniaques que Molière dénonce. Il a perdu tout esprit critique, est aveuglé par Tartuffe. La scène revêt donc un aspect tragique et, ce d'autant plus qu'Elmire est dans un état préoccupant. L'hypocrite, le faux dévôt a défait peu à peu les liens familiaux et fait d'un mari un monstre d'indifférence.
Le dialogue entre Dorine et Orgon est un dialogue qui tourne à vide. Orgon, visiblement sous influence, semble incapable d'analyser lucidement les informations apportées par sa servante qui brosse un portrait au vitriol de ce prêtre “gros”, sensuel qui s'engraisse sur le dos des autres, dans un égoïsme peu compatible avec l'esprit de l'Evangile. Orgon ne donne pas véritablement la réplique à Dorine, omnubilé qu'il est par celui qui a pris une place hors-normes dans sa maison et dans son coeur : Tartuffe. Dès lors, il est une sorte de pantin ridicule, dont les interventions sont à la fois risibles (il répète toujours les mêmes choses, plaint Tartuffe alors même qu'on le lui décrit en pleine santé) et inquiétantes, assombrissant la scène et lui donnant un aspect tragique. On retrouve ainsi tous les ingrédients des “comédies sérieuses” de Molière, pièces hybrides qui se servent d'une palette de tonalités variées : le rire grossier des farces, le charme des comédies sérieuses... Molière s'il cherche avant tout à faire rire, traque avec lucidité les fonds ténébreux de l'esprit humain et met en scène la vanité, la bêtise ou la folie de ses personnages.
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