Baudelaire - Question d'ensemble sur le Spleen
Par Andrea • 3 Mai 2018 • 1 441 Mots (6 Pages) • 646 Vues
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Il ne s’agit donc pas de l’absence d’occupation ou de divertissement, du simple « corporel », du « bourdon » ou du « blues », voire de la « déprime », comme on dit aujourd’hui. Ce n’est pas non plus « le mal du siècle » de la génération de 1830, ou plutôt ce n’est pas que cela. Certes, Baudelaire, pour son malheur, est tombé dans le siècle le moins préparé à l’entendre. Un siècle utilitaire, voué au négoce et à l’argent qui tient la poésie pour un confort, un siècle tout épaissi de suffisance. (M. NADAND, Préface à l’édition Rencontre, 1981 (?)). Un siècle qui condamne presque en même temps et pour le même motif Madame Bovary et Les Fleurs du Mal, qui donne raison au positivisme d’Homais contre le « bovarysme » d’Emma. Un siècle où les Aupick triomphent, tandis que le poète, maudit par sa propre mère (dans « Bénédiction », il est maltraité par les « hommes d’équipage », comme « L’Albatros », « ce prince des nuées », mal à l’aise et maladroit sur le sol…
Le mal est plus profond : il tient moins aux actes ou aux circonstances de la vie qu’à la vie elle-même, absurde, inutile, dévorée par le temps.
Le temps
Voilà, avec « Spleen » et « Ennui », un autre mot-thème ou mot-clé.
« A chaque minute, nous sommes écrasés par l’idée et la sensation du Temps » (« Hygiène »)
« Et le Temps m’engloutit, minute après minute » (« Le Goût du néant »)
C’est « L’Horloge », ce dieu « sinistre » qui répète « souviens-toi » :
« Souviens-toi que le Temps est un joueur avide, / Qui gagne sans tricher, à tout coup ! C’est la loi.
C’est la mémoire, terrible ennemie, qui transforme le poète en « immense caveau », contenant « plus de morts que la forme commune » en un grand « cimetière abhorré de la lune » et lui fait soupirer « j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans » (« Spleen » LX)
La mémoire qui fait pleurer « l’Espoir… » comme un « vaincu » et fait que « l’Angoisse despotique (…) plante son drapeau noir » (« Spleen » LXII)
La mémoire qui crée l’illusion de retrouver le « vert paradis des amours enfantines » (« Moesta et errabunda ») ou qui permet d’évoquer la douceur des « soirs au balcon » alors que « ces minutes heureuses » ont été englouties au fond « d’un gouffre interdit à nos sondes » (« Le Balcon »)
La mémoire, enfin, qui fait regretter de ne pas voir couler « au lieu de sang, l’eau verte du Léthé », le fleuve où les âmes venaient boire l’oubli de leur vie terrestre avant d’entrer dans les Champs Elysées (« Spleen » LXI)
La vie insupportable et implacable
Ennui, angoisse liée au Temps, tourments de la mémoire, voilà ce que contient le mot « spleen ». Et pour résumer tout cela, l’insoutenable sentiment de la vacuité de la Vie.
C’est ce que dit chaque seconde « en jaillissant de la pendule : - Je suis la Vie, l’insupportable, l’implacable Vie ! […] Oui, le Temps règne ; […] Et il me pousse […] Et hue donc ! bourrique ! Sue donc, esclave ! Vis donc, damné ! » (« La Chambre double », in Le Spleen de Paris, V, fin du poème en prose)
Condamné à vivre ! Telle est la définition qu’on peut donner de l’homme et du poète en proie au « spleen » qui ne peut ressentir de joie sans mélange, ni auprès des femmes, ni de la ville, concentrée de toutes les turpitudes, qui lui renvoie l’image de sa propre solitude, ni de ces « Paradis artificiels », qui n’apportent qu’un vécu – fort bref et illusoire ! L’image qui renaît souvent, et qui n’est pas sans rappeler « l’homme de sa caverne » de Platon, ou « le cachot de l’univers » dont parle Pascal, est celle du prisonnier enfermé, et qui étouffe sous « le ciel bas et lourd » pesant « comme un couvercle » (« Spleen LXII)
Restent l’Art et la Mort, moyens d’évasion possibles, mais qui, eux aussi, peuvent laisser insatisfaits.
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