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Analyse de la gravure de Doré pour la Petit Poucet et comparaison avec l'incipit

Par   •  8 Mai 2018  •  1 948 Mots (8 Pages)  •  773 Vues

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La fonction d’exposition de la situation est confiée au dessin et à sa composition. Les informations sur la famille et la fratrie ainsi que sur le personnage du Petit Poucet sont laissées de côté. Il n’y a pas de redondance informative entre l’illustrateur et le conteur. Il s’agit avant tout dans cette illustration de faire sentir au lecteur le pathétique de la situation. Dans l’étude du dessin, on a vu tout le rôle joué par les objets. En particulier l’assiette et la marmite dont le conteur ne parle pas acquièrent ici la valeur de métonymies puissantes pour exprimer la faim et la misère. Les attitudes des personnages résument une condition sociale : elles doivent introduire les images attendues de pauvres bûcherons. La cognée posée près de la cheminée introduit cette qualification sociale. Le chien et le chat, absents chez Perrault, peuplent ce foyer de leur présence familière. Ils forment comme un double des deux personnages humains et sont un miroir expressif de leur désarroi. L’éclairage, la composition organisent ce réseau de signes.

- La dimension symbolique

- Pathétique

C’est donc grâce aux moyens de la gravure que la disette et le désespoir de ce couple sont suggérés : on a vu comment certains objets acquièrent une forte portée symbolique grâce à l’éclairage et au réseau de lignes géométriques qui organisent la représentation de l’espace et de ce qui le peuple. L’effet dominant est dans le registre pathétique ou dramatique : l’assiette vide et la marmite sont soulignées par la lumière. La cognée vivement éclairée prend une dimension qui déborde le cadre référentiel : son tranchant attire l’attention sur une cruauté, une barbarie menaçante.

- Ironie

On ne trouve pas de trace de l’ironie du conteur invitant son public au sourire à travers l’évocation de la propension exagérée à la procréation de ces pauvres miséreux inconscients. Cependant Doré invite lui aussi à juger les personnages ; l’introduction du chien et du chat dont Perrault ne mentionne pas la présence introduit un face à face entre les humains et les animaux. Ceux-ci partagent l’accablement de leurs maîtres, mais ces derniers s’apprêtent à décider sous l’inspiration d’un égoïsme purement animal. La longue racine suspendue à la main du bûcheron fit penser à une nourriture animale plutôt qu’humaine et souligne donc la rusticité de ce milieu.

- dignité

La structure pyramidale qui enserre les personnages, le cadrage serré autour d’eux, l’angle du regard du lecteur sur la scène tendent pourtant à les grandir, à souligner leur dignité. Les parallèles signalées dans l’analyse de la gravure anticipent sur leur accord, les associent étroitement comme mari et femme. Cependant la misère est dépeinte à partir de la sensibilité romantique pour les faibles et les pauvres. On sent que l’humanitarisme romantique de poètes comme Hugo (Les Misérables, « Souvenir de la nuit du quatre », « Les pauvres gens ») ou de peintres comme Daumier inspire un regard de compassion bien différent de celui de Perrault. Le XVIIème siècle est loin d’être insensible à la misère des pauvres (La Bruyère[1], Bossuet) mais le regard, ému parfois, qu’il porte sur ce monde reste plus à distance.

- Le traitement du personnage principal

Le conte donne une présentation assez complexe du Petit Poucet : dernier né, de santé délicate, tout petit et apparemment stupide. Dans l’illustration, il est découvert en action d’emblée : la victime apprend la tromperie qui la menace. Sa place dans la gravure apporte des suggestions sur sa petitesse, son ingéniosité ou sa curiosité. Certes ce personnage est présenté à ras de terre, comme un enfant qui se détacherait à peine de l’animalité (il est sur le même niveau que le chien et le chat, et « à quatre pattes » ; en réalité, il lève un bras, manière de le distinguer visuellement de l’animalité ?). Personne ne prête attention à sa présence, mais il est tout entier en éveil. Alors que le quatuor familial est statique, accablé et assis, lui, il est en action. Il n’est pas à sa place, il ne devrait pas être là, il transgresse l’ordre familial en écoutant ce qui ne lui est pas destiné, mais cette transgression est la condition de son salut. Pour le lecteur, ces constats dessinent un rôle possible dans une tonalité presque picaresque. Le salut dépend moins de l’héroïsme que des ressources et des expédients à tirer de son expérience, de l’ observation, de la vitalité ; il s’agit d’être en alerte . Le choix de le placer à proximité du personnage féminin peut être rapproché de sa capacité à trouver alliance, dans son roman d’apprentissage, avec le féminin : trahi par une première mère, il saura se concilier avec l’ogresse une mère protectrice de substitution, qu’il trahira sans remords à son tour. Doré semble illustrer le récit en lecteur des romans de formation de son époque.

« Il y a des misères sur la terre qui saisissent le coeur; il manque à quelques-uns jusqu'aux aliments; ils redoutent l'hiver, ils appréhendent de vivre ». Des biens de fortune, La Bruyère

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