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La double sépulture du cardinal Jean de la Grange

Par   •  17 Avril 2018  •  8 989 Mots (36 Pages)  •  490 Vues

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En fait, les enjeux de notre étude sont double, il sera question de savoir pourquoi ces monuments funéraires ont-il une complémentarité qui d'une part pérennise le prestige d'un cardinal schismatique favorable à Louis d'Orléans, d'autre part témoignent d'une captation par les arts d'une nouvelle représentation de la mort à des fins morales ? Afin de répondre à ces questions, nous optons ici pour un plan tripartite :

Dans une première partie plutôt descriptive, nous-nous intéresserons au grandiose, au points communs et au particularismes de ces deux ensembles, nous saisirons les raisons de cette monumentalité tout en percevant leur humilité vindicative, puis nous démontrerons que le basculement du gisant au transi produit une rupture intéressante avec les traditions sépulcrales. Dans une deuxième partie davantage historique, nous expliquerons comment ces deux monuments parviennent à exprimer l'allégeance du cardinal à Charles V et à Louis d'Orleans. Dans cette logique nous-nous concentrerons sur la facture du gisant amiénois, puis nous aurons une attention particulière pour le thème de l'Annonciation du fait qu'il insiste sur les positions schismatiques du défunt. Dans une troisième partie relevant davantage du champs de l'histoire des arts, nous soulignerons la complémentarité de ces deux monuments. Le transi sera perçu comme une pièce emblématique des memento mori en plein essor à cette époque. Après avoir dégager les tenants et les aboutissants de cette locution, nous expliquerons pourquoi et comment le tombeau est un exemple de ce que certains historiens d’art appelent le gothique international.

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Erwin Panofsky explique qu'à la fin du XIVe siècle, l'Europe entre dans une "spirale inflationnelle d'ostentation sociale", les cours européennes et les représentants de l'Eglise cherchent par l'ensemble des pratiques artistiques, y compris dans le domaine des monuments funéraires, à pérenniser leur pouvoir et à contre-carrer l'émergence d'une classe bourgeoise qui s'affirmera tout au long du XVe siècle. En somme, la très haute noblesse et les plus hauts représentants du clergé adoptent une stylisation à l'extrême des mœurs et des comportements. De leurs vivant ou pour leur mort, les personnes influentes entre donc souvent dans des quêtes effrénées de splendeur démonstrative et c'est dans ce contexte et par ces attentes que Jean de la Grange fait édifier deux monuments grandioses en son souvenir. Alors intéressons-nous aux écrits de Dany Sandron relatifs aux gisants d'Amiens, puis ensuite à une publication d'Eugène Müntz sur le transi d'Avignon pour souligner la splendeur et la monumentalité de ces deux oeuvres.

M. Durant, archiviste de la Somme explique que le tombeau a été détruit en 1751, ce qui nous est aujourd'hui donné à voir est en fait le gisant qui à subsister mais qui a été déplacé au XVIIIe siècle avec quelques fragments de montants d'architecture dans le plan axial du rond-point de l'abside, sous le tombeau du chanoine Guillain Lucas, à la place de la statue de l'évêque Arnoul de la Pierre. Il est donc délicat de saisir la monumentalité passée de ce chef d'oeuvre amiénois d'autant plus qu'Aurélien André -spécialiste de la cathédrale- souligne que les responsables, les architectes ou les maitres-maçons de l'édifice nous sont inconnus. C'est donc par des témoignages antérieures à sa destruction qu'il est possible de mesurer l'importance de ce bâtiment.

Dany Sandron rapporte que le gisant a été réaliser à Paris bien longtemps avant d'être indiqué dans le testament de son commanditaire en 1402. Inachevé à la mort du commanditaire, il explique aussi que c'est en fait le neveu et successeur de l'évêque Jean de Boissy qui plaça sous ses instructions le gisant "à gauche du maître autel, entre les piliers de la quatrième travée du choeur et près de la chaire du diacre". Placé au début du XVe siècle, Dany Sandron rapporte que la tombe telle qu'elle n'apparait plus aujourd'hui était magnifiée par "un haut dais continu de quatre travées dont les voûtes étaient chargées de pinacles et de gâbles aigus. A leur hauteur, deux statues sur consoles abritées par des dais se trouvaient adossées aux piliers de la travée". De plus, il est précisé que le monument du cardinal se composait d'un soubassement de marbre noir de Belgique, portant son épitaphe et "animé d'arcades qui abritaient des statuettes de pleurants en marbre blanc". Par cette description d'un gisant complexe et encadré de montants architecturés, le tombeau amiénois s'inscrit dans la lignée des monuments funéraires les plus ambitieux de l'époque, plus particulièrement ceux des rois de France depuis la fin du XIIIe siècle. Par ailleurs le tombeau du cardinal formait un net contraste avec celui voisin d'Arnoul de la Pierre, également bichrome, mais selon un parti inverse où le gisant en pierre bleue se détachait d'un soubassement en calcaire blanc.

En somme, l'oeuvre aujourd'hui quasiment disparue occupait une place fondamentale dans la cathédrale grâce à sa localité, à sa singularité vis à vis des autres gisants, à sa taille audacieuse et à la préciosité de ses matériaux. Le fidèle amiénois avait face à lui un monument incontestablement grandiose. Avant d’aller plus loin, signalons aux lecteurs que notre étude sur le monument amiénois se cantonnera au gisant du fait que les autres parties nous sont ici inconnues.

Du coté d'Avignon, nous savons qu'en 1378 le cardinal Pierre de Cros a fondé un prieuré-collège sous le vocable de Saint-Martial et qu'en 1402 une église fut édifiée en son nom. Sous l'ordre du cardinal Jean de la Grange, l'abside fut allongée pour y faire placer son tombeau. Quant à la réputation du monument funéraire, c'est grâce aux observations rapportées par le chanoine Jean Raymond Deveras en 1750 qu'il est possible de se rendre compte de la magnificence révolue de l'ouvrage. En effet, dans le recueil qui répertorie les inscriptions des églises d'Avignon, le chanoine ne peut pas être plus éloquent et en dit ceci : "à Saint-martial : tout proche du grand autel, on voit le mausolée de Mgr Jean de la Grange, cardinal et évêque d'Amiens, qui est un des plus beaux de toute la chrétienté". Fransoiy, auteur d'un manuscrit de la bibliothèque d'Avignons explique que le tombeau de l'église Saint-Martial

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