Commentaire de texte "Le Monde comme il va"
Par Stella0400 • 19 Avril 2018 • 1 904 Mots (8 Pages) • 728 Vues
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d’une grande fureur, montre une vraie contamination de cette violence. Il s’agit ici de faire place nette pour avancer sur la scène du récit un personnage d’exception.
Ce personnage, autre lettré, fait figure de modèle. La mise en scène de son entrée dans l’histoire lui confère d’emblée un rôle singulier. D’abord, Babouc le rencontre en extérieur, puisque le Scythe fait ”une promenade”. L’activité n’est pas dénuée d’intérêt : la promenade s’accompagne souvent d’une flânerie, elles est une marche non affairée, et on l’associe à une pensée elle-même libre des ses mouvements. Ce lettré ”n’était pas venu grossir le nombre de parasites” : la négation indique ici qu’il se distingue clairement des autres, esclaves de leurs envies. Pour lui, d’ailleurs, l’usage du singulier s’impose : ”c’est un vieux lettré”, un personnage plus volontiers individualisé. D’ailleurs, le verbe ”fuir” dont il est le sujet, dans la proposition ”il fuyait la foule”, signale explicitement qu’il s’agit là d’un choix volontaire, motivé par une aversion pour la masse. Ce n’est pas lui qui vient à Babouc, mais des habitants de Persépolis qui ”le présent (ent)” à lui et ici, le pronom personnel ”le” en position d’objet fait bien du lettré quelqu’un qui n’a pas été l’agent de cette rencontre. L’adjectif ”vieux” qui le qualifie q bien sûr une connotation positive, car il évoque un homme d’expérience, capable de recul avec l’instant présent et donc non asservi par le désir, la ”faim”. Il parle lui-même des ”véritables sages” qui ”vivent retirés”, exprimant donc implicitement le clivage qui le sépare des autres toujours ensemble.
La sagesse du personnage va transparaître à travers la façon dont son discours est présenté. Très rapidement, avant même de rapporter ses paroles, le narrateur indique que ce lettré ”se communiquait avec discrétion” : le complément circonstanciel de manière laisse ici entendre qu’il parle peu, ce qui est un signe d’humilité. Parler revêt donc pour lui un caractère exceptionnel et, du coup, ses paroles acquièrent une légitimité suffisante pour être rapportés cette fois au discours direct. Après son discours, il est rejoint par un quatre lettré, et ”leurs discours”, au pluriel, se mêlent. Le premier sage n’est donc pas si exceptionnel : qu’un quatre sage le rejoigne le rend, en fin de compte, plus humain, plus à la portée des autres hommes, comme si Voltaire nous suggérait que nous-mêmes pouvons le rejoindre dans sa sagesse. Cependant, leur entretien reste fort valorisé. Le point de vue de Babouc nous est en effet rapporté : il n’a ”jamais rien entendu de pareil”. L’emploi de la négation ”jamais” prend la valeur ’une hyperbole. Et la répétition de ”si” qui scande l’énumération de quatre adjectifs ”agréables, ”instructifs”, ”élevés”, ”conformes à la vertu” souligne le caractère hors du commun de l’échange. Les paroles à voix basses de Babouc font entendre pour nous une opinion que nous avons tôt fait de rejoindre : l’ange Ituriel ”n’osera toucher à ces hommes , preuves que leur sagesse a acquis une dimension supérieur capable de tenir en respect un personnage divin.
Le discours du vieux lettré est, en lui-même, effectivement emprunt de sagesse. On l’a dit, le discours direct donne du crédit à ses paroles. Le sage partage d’abord l’opinion de Babouc, puisqu’il emploie des images similaires à celles employées précédemment pour désigner les autres lettrés, parlant en termes métaphoriques très péjoratifs de ”rebut de la pédanterie”, ou employant le verbe “fourmille”, qui rappelle le monde des insectes. Très vite cependant, il s’oppose à lu, comme le signale la conjonction ”mais”. À la violence de Babouc, de sa condamnation, le vieux sage nous offre une leçon de relativité. Il élargit le paysage des représentations, se rapportant à ”tous les temps”, ”tous les pays”, c’est-à-dire à la totalité de l’histoire et du monde : par là, il prend du recul vis-à-vis de ses contemporains. Il globalise à l’aide du présent de vérité générale (comme avec les verbes ”est” ou ”vivent”) ou grâce à la tournure impersonnelle ”il y a”. Son langage se veut donc plus distancé et s’apparente à la maxime, au proverbe. Il finit en attirant l’attention de Babouc sur l’existence de livre ”dignes de (son) attention” : l’adjectif, à connotation positive, ramène le discours vers un éloge du temps présent. Il s’agit pour lui, de tempérer l’emportement premier du Scythe, de l’écarter de sa violence pour le conduire vers la clémence et la douceur. Babouc ne s’y trompe pas, qui juge, on l’a dit, ses discours ”agréables et ”instructifs”. Or, ce sont là les deux vertus recherchées par la langue classique du XVIIème siècle : la littérature se donnait alors pour ambition de ”plaire” et ”instruire”. Notre sage est donc un écrivain classique, tout comme Voltaire, héritier lui-même du XVIIème et plébiscité en sont temps pours ses tragédies, proche de celles d’un Racine. Notons enfin que la clémence du sage provoque par contagion encore, celle de Babouc, qui songe à l’épargner. Et cette fois-ci encore, la contagion des sentiments conduit à une contamination des formes : le discours direct se généralise puisque les paroles à voix basse de Babouc sont rapportées à leur tour entre guillemets.
Ainsi, clivant les personnages, Voltaire, par l’intermédiaire d’un Babouc dont on adopte le point de vue, parvient-il à dresser le portrait de l’homme de lettres idéal : un sage, retiré du monde comme Montaigne lui-même retranché dans sa bibliothèque, un penseur humble, à la parole rare, non dénuée de bonté. Sa sagesse n’est pas, cependant, condamnée à l’isolement : elle communique à Babouc ses vertus. Au fond, Voltaire, philosophe lui-même, retiré sur la fin de sa vie à Ferney, ne nous dresse-t-il pas ici, par anticipation, un portrait de lui –même ?
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