L'êle des esclaves, Marivaux
Par Stella0400 • 30 Octobre 2018 • 1 676 Mots (7 Pages) • 590 Vues
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De ce fait, pour toucher aux véritables valeurs humaines, il faut dépasser la fermeture de sa condition sociale et arracher la nature humaine enterrée dans les terreaux de la condition sociale. Mais comment ? En creusant la pièce, la réponse s’émerge : sensibilité, pitié, pardon.
Sensibilité, pitié et pardon
Dans un premier lieu, la remède commence par apprendre aux maîtres la sensibilité en renversant le rapport du pouvoir, comme le dit Trivelin «nous vous jetons dans l'esclavage pour vous rendre sensible aux maux qu'on y éprouve »[9]. Les maîtres sont tirés involontairement de leur monde et puis jetés dans le rôle de domestique. Cibles de la moquerie, les anciens mondains se voient donnés des sobriquets tel que « Seigneur Hé »[10], relégués aux bords de la scène et privés des paroles. Mais la dernière goutte d’eau qui fait déborder la vase est la séduction d’Arlequin auprès d’Euphrosine. L’objet de la conquête amoureuse d’Arlequin, Euphrosine, accablée par son état esclave, se plaint en larmoyant de sa misère : « Ne persécute point une infortunée, parce que tu peux la persécuter impunément. Vois l'extrémité où je suis réduite»[11]. En disant « Tu peux ici m'outrager autant que tu le voudras, je suis sans asile et sans défense, je n'ai que mon désespoir pour tout secours »[12], elle est enfin sensible à l’impuissance des esclaves en face de l’abus de pouvoir puisque les servantes sans importance devraient accepter l’intérêt du maître pour elles. Elle tente de provoquer la pitié d’Arlequin avec la phrase « J'ai besoin de la compassion de tout le monde, de la tienne même, Arlequin; voilà l'état où je suis; ne le trouves-tu pas assez misérable ? »[13], mais en même temps, cette réplique constitue également un indice de l’apparition de sa propre pitié auprès des valets qui mènent une telle misérable vie. Les indigents ne sont pas censés se laisser outrager par les classes supérieures. En revanche, les démunis ont bien besoin de pitié. A la fin, en interrogeant Arlequin « Tu es devenu libre et heureux, cela doit-il te rendre méchant ? »[14], elle prend conscience que ceux d’en haut ne doivent pas se laisser corrompre par leur pouvoir et les privilèges. Cette remède atteint son but : « tu sauras mieux ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres »[15]. A la fin, c’est par la sensibilité à la souffrance que les esclaves ont vécue que les maîtres pardonnent l’impertinence des domestiques parce que les patrons eux-mêmes éprouvent la rancune en face de l’abus du pouvoir. En outre, Marivaux ne réserve pas la responsabilité de la tention sociale à la seule société mondaine. Au cours de ce renversement du rôle, il met en lumière également les défauts des esclaves et établit des épreuves pour eux.
En ce qui concerne les valets, ayant accès au pouvoir, ils sont au début en proie à la séduction du pouvoir. Ils traitent leur ancien maître avec insolence et mépris, lancent la conquête d’amour d’une manière imposante et manifestent leur ressentiment même une tentation de vengeance auprès des deux maîtres et cherchent à s’identifier à leur ancien maître qu’ils prétendent mépriser. Cependant, c’est grâce à cette expérience en tant que maître que ces valets éprouvent la sensibilité. Dans le cas d’Arlequin, avec la réplique « si j'avais été votre pareil, je n'aurais peut-être pas mieux valu que vous. »[16], il prend conscience, en se plaçant dans la position de patron, de la séduction et de l’aliénation accompagnant la condition sociale supérieure qui peuvent cacher la nature intime de l’individu. Cette sensibilité éteint la flamme de son ressentiment, le conduit à se laisser ébranler par la pitié face à Iphicrate et finalement aboutit au pardon.
Conclusion :
Avec l’épilogue résumé « La différence des conditions n’est qu’une épreuve que les dieux font sur nous»[17], l’auteur cherche à nous donner un cours : la condition sociale n’est qu’un effet du hasard. Mais on est très souvent forgé même contraint par sa condition sociale qui enterre la nature intime de l’individu au profit du soi-disant sentiment d’appartenance. Pour débarraser l’humanité des terreaux de classes sociales, il faut se placer dans la position des autres pour connaître leurs souffrances de l’existence avec la sensibilité et éprouver la pitié et la compassion pour leurs propres difficultés, ce qui permet d’atteindre la réconciliation et une société harmonieuse. On remarque aussi que cette pièce se termine par une reprise du pouvoir des maîtres et le retour au statut d'esclave de valets. De ce point de vue, Marivaux, en voyant les contradictions profondes de la société, ne vise pas à une solution extérieure, soit une révolution sociale qui tente de renverser le régime, mais plutôt invite à éveiller l’âme en encourageant les gens à se retourner vers l’intérieur, ce qui est le seul moyen de pousser chaque personne à traiter les autres avec humanité.
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