Explication du texte, La conscience est durée de Bergson
Par Raze • 23 Mai 2018 • 2 485 Mots (10 Pages) • 781 Vues
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lecteur à adopter cette démarche en s'installant dans l'expérience familière :
« considérez la direction de votre esprit à n’importe quel moment ».
S’il y a une objection à adresser à l’auteur, elle n’est pas de critiquer le langage
en s’en servant ; la limite de sa position réside plutôt dans la question de savoir si la
conscience que nous avons de nous-même et du réel n’est pas d’autant plus nette
qu’elle est discursive, médiatisée par le discours : c’est parce que nous les nommons
que nous avons une conscience claire des choses ; sans le langage, et pour le dire
avec Kant, nous n’en aurions qu’une « intuition sans concept » : c’est le mot qui
permet d’identifier l’objet de perception.
Si l’on reprend l’exemple de l’amour, proposé dans Le Rire, on peut opposer à
Bergson la formule de Pascal, dans son Discours sur les passions de l’amour : « à
force de parler d’amour, on devient amoureux ». En d’autres termes, il n’y a pas
antériorité du sentiment vécu sur le mot qui viendrait ensuite en appauvrir la richesse
en le nommant, mais c’est en pensant à quelqu’un – par des mots donc – que l’on se
met à l’aimer : le sentiment amoureux naît du langage.
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C’est ainsi une description concrète de l’intuition que nous avons de nousmême que Bergson entend livrer. Or si l’on considère l’expérience intime de soi, on
observe que la conscience se caractérise par la « mémoire ». La mémoire est partielle :
l’oubli frappe des pans entiers de mon exist ence. Néanmoins, c’est parce que des
éléments du passé sont conservés par la mémoire que j’ai conscience de moi. Celui
« qui ne conserverait rien de son passé », sur le mode de l’amnésie, saurait qu’il est,
dans le sens où il aurait conscience d’exister, mais il ne saurait pas qui il est : il
n’aurait pas conscience de son identité. Quant à celui dont la conscience
« s’oublierait sans cesse elle-même », comme c’est le cas au début du processus de
dégénérescence dans la maladie d’Alzheimer, il « périrait et renaîtrait à chaque
instant ». Un malade d’Azheimer, avant un stade avancé de la maladie, a encore
conscience de son identité, parce qu’il a conservé des souvenirs anciens, mais il
oublie continûment le tout juste passé et n’a plus conscience de ce qu’il faisait ou de
ce qui vient de se dire. De même à l’échelle collective, un peuple qui n’aurait pas
conscience de son histoire n'aurait pas de sentiment de ce qui fait son unité.
De même qu'il n'y a pas de conscience de soi possible sans rétention du
passé, de même, toute conscience est protension, anticipation de l'avenir. La
conscience est fondamentalement au-devant d'elle-même, projetée vers l'avenir.
Quand elle se concentre sur ce qui est, le présent n’est pas sa fin, il n’est qu’un
moyen ; seul l’avenir est sa fin. C'est le sens de la formule : « l'attention est une
attente » : toute conscience attentive au présent est déjà tournée vers ce qui va être. Il
n'y a pas d'action possible sans réflexion sur sa finalité ; agir est « un empiétement sur
l'avenir », dans le sens où le geste que je suis en train d'accomplir suppose d'avoir
une représentation du but que je poursuis.
De façon paradoxale, comme il avait écrit à la ligne douze que le passé est
conservé « dans le présent », l'auteur suppose, ligne quinze, que « l’avenir est là »,
autrement dit, qu’il est présent. On peut mettre ces expressions en perspective à partir
des analyses qu’Augustin, vers 400, a proposées du temps, dans Les Confessions. Le
problème philosophique qu'il a posé est celui de savoir si le temps est une réalité
physique, objective, ou une idéalité psychique, une représentation de la
conscience : est-il matériel ou spirituel ? Augustin part de l'idée que si rien ne se
passait, si rien n’advenait, je n’aurais pas conscience du temps . Autrement dit, ce qui
rend évidente l’existence du temps, c’est d’abord la succession des événements, le
fait qu’une chose se produise après une autre, la dégradation, le vieillissement. Cela
renvoie au temps physique ou objectif.
Mais cette conception réaliste du temps trouve une première limite dans le fait
que, à proprement parler, le temps n’est pas lui-même une chose, mais le milieu dans
lequel les choses sont. Il forme, avec l’espace, ce que Kant appelle les « formes a
priori de la sensibilité », autrement dit, le cadre
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