Le populisme selon Laclau
Par Junecooper • 1 Avril 2018 • 1 731 Mots (7 Pages) • 495 Vues
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En outre, il ne faut pas oublier que l’antagonisme est une notion importante pour Laclau, et qui implique l’existence un ennemi commun pour renforcer la cohésion du groupe. Le site du FN précise que le mouvement doit se faire contre « l’ennemie commun ». Le sens du terme est important : son caractère vague permet à chacun de désigner sa conception de l’ennemi, tandis que cette mobilisation des antagonismes permet de renforcer la cohésion au sein du groupe.
Qu'est-ce que cela implique ?
→ Le populisme repose sur une frontière interne : un antagonisme entre les institutions étatiques, et le mécontentement de ceux dont les attentes ne sont pas satisfaites par ces mêmes institutions. ''C'est parce que toutes les demandes individuelles, dans leur singularité même, sont opposées au régime oppresseur, qu'une communauté d'équivalence entre elles peut être établie''.
→ La logique populiste se confond avec la logique politique tout court : si toutes les demandes d'une société étaient réalisées, ''il n'y aurait pas de populisme, mais pour des raisons évidentes, il n'y aurait pas de politique non plus''. Le populisme reposerait donc sur un mécanisme propre à la politique : celui d’accomplir au mieux la volonté générale. Ainsi, le politique est nécessairement populiste.
→ Le caractère indéfini du populisme est nécessaire : Une des raisons de son caractère ''vague'' est selon Laclau l'indétermination même de la société. En effet, le pluriculturalisme et la diversité des intérêts explique l'émergence d'un mouvement qui chercherait à dépasser cette multitude et créer une union au sein même de la différence. En cela le populisme suivrait une autre logique indispensable à la politique : il accepterait la pluralité et l'intégrerait dans une logique d'équivalence entre les différentes composantes de la société.
→ Le peuple est une catégorie politique : le ''peuple'' au sens de Laclau est une construction, un nouvel acteur issu de la pluralité d'éléments hétérogènes. Le populisme est alors créateur d'identité sociale et il représente donc légitimement cette nouvelle catégorie.
→ La société n'attend que d'être réunifiée : Laclau voit la « société » comme quelque chose qui réunit artificiellement l'ensemble d'une population. La réelle unité se trouverait dans le « peuple », qui est le fruit d'une réunion des différences autour de symboles, d'équivalence. Cette tâche réunificatrice revient à la politique en générale, et pas seulement au populisme. Selon Laclau, le populisme reprend en fait des mécanismes unificateurs qui relèvent de la pratique politique dans son acceptation large du terme.
Reprise critique
→ La réunion sociale se fait au prix de la capacité à exercer son jugement critique : en effet, le rôle des « signifiants » est décisif pour Laclau. Une telle rhétorique détourne l'individu de ce qui le caractérise d'une manière assez pernicieuse. Puisqu’il y a une multitude d’interprétation possibles à donner aux signifiants employés par les populismes, chaque sensibilité pense y défendre quelque chose de bien particulier. Il en résulte qu’au sein d’un même mouvement, chacun se bat pour ses revendications particulières, en pensant partager les mêmes avec les autres membres.
Prenons l'exemple de l'identité, sur lequel se fonde entre autres le Front National : il est évident que parmi ses 83 000 adhérents, une multitude de conceptions de l'identité existe. Et pourtant, tous se reconnaissent dans des slogans tels que ''préservons notre identité'' ou ''mon identité avant l'Europe''.
→ Le populisme divise plus qu'il ne rassemble : trop souvent le populisme dirigea sa rhétorique non pas contre l'Etat mais contre d'autres communautés (juives, immigrées, etc.), créant une union autour des peurs et de la haine, où le projet commun suivra cette logique de lutte violente contre un groupe donné. Le projet commun ne vise plus à faire coexister la société mais alors à la purger de ces boucs émissaires.
→ Ne pas confondre légitimité politique et légitimité morale : le populisme repose en effet sur des mécanismes communs aux autres modes d'expression politique. Mais cela n'enlève rien à ses défauts théoriques, ni aux excès que l'on observe dans la pratique.
Bilan : Le populisme selon Laclau
Le populisme contribue à former une sphère publique à partir d'une société divisée et pluriculturelle.
La logique du populisme est la même que pour tout autre système politique, c'est à dire qu'elle ne repose pas sur une classe en particulier, mais sur un système qui se veut réunificateur et universaliste. Il vise à délivrer le ''peuple'' d'un individualisme qui empêcherait la construction d'une identité sociale. C'est un générateur de lien social reposant sur la création d'équivalence au sein même de la différence. En cela il joue un rôle propre à la politique en général.
Bibliographie :
Laclau Ernesto, « La Raison Populiste », Paris, Seuil, collection « L'ordre Philosophique », 2008, 295 p.
Keucheyan Razmig, « Hémisphère gauche ; une cartographie des nouvelles pensées critiques », Paris, La Découverte, 2013, 377 p.
Grossman Evelyne, « Vous avez dit ''populisme'' ? », laviedesidées.fr, 2008 ; http://www.laviedesidees.fr/Vous-avez-dit-populisme.html
Penafiel Ricardo, « La raison populiste », A babord ! ; https://www.ababord.org/La-raison-populiste
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