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Littérature classique - L'île des esclaves, Marivaux. Et l'utopie.

Par   •  21 Novembre 2017  •  4 170 Mots (17 Pages)  •  714 Vues

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Marivaux n’est pas un auteur qui se veut révolutionnaire, ni insurrectioniste. L’île des esclaves n’est pas complètement une utopie, Marivaux dresse dans un premier temps ce qui lui semble être un nouveau contrat social. La possibilité d’une rééducation sociale et morale est une idée neuve. C’est dans la scène 2 que se dresse les fondements de cette nouveauté : Trivelin propose un projet formulé autour de plusieurs propositions qui font de cette intervention de Trivelin un véritable et authentique programme : « Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons ». Premier principe, donc, un principe qui est un principe éducatif. Cette « correction » est une façon de retrouver une forme de civilisation : « ce n’est plus votre vie que nous poursuivons, c’est la barbarie de vos cœurs que nous voulons détruire » Pour accomplir ce « programme », un moyen important : l’esclavage. Faire subir ce qui a été imposé : « nous vous jetons dans l’esclavage, pour vous rendre sensibles aux maux qu’on y éprouve ». Enfin, après l’annonce d’un programme et de ses moyens comme tout contrat social il y a une fin : une « guérison » justifiée par le fait que les maîtres sont « malades » et qu’il faut les rendre « sains ». Cette « santé », Trivelin la définit comme une humanité : « et nous ne prenons que trois ans pour vous rendre sains, c’est-à-dire, humains, raisonnables, et généreux pour toute votre vie. » Un contrat qui se voit remplis à la fin de la pièce : « (…) c’est là ce que j’attendais (…) je n’ai rien à ajouter aux leçons que vous donne cette aventure ; vous avez été leur maîtres, et vous en avez mal agi ; ils sont devenus les vôtres et ils vous le pardonnent (…) la différence des conditions n’est qu’une épreuve que les Dieux font sur nous : je ne vous dis pas d’avantage (…) Que la joie à présent et que les plaisirs succèdent aux chagrins que vous avez senti, et célèbrent le jour de votre vie le plus profitable. » S’il est important d’insister sur ce contrat social c’est parce qu’il mène à l’inversion des rôles qui en fait partie. Ce qui n’est pas vraiment une utopie.

L’utopie traditionnelle abolit la relation de servitude, or Marivaux propose son inversion. Il ne construit pas un monde idéal mais par ce nouveau contrat social, il expérimente, sans chercher à annuler un rapport de domination irrégulière. Si Trivelin n’est pas en posture de médiateur il utilise sa condition de gouverneur pour contraindre et imposer le changement il l’accompagne et le facilite, définit un cadre et des règles de fonctionnement dont il est le garant. A travers une dynamique contraignante, il veut faire comprendre aux maîtres, l’injustice et la dureté de leur comportement, corriger leur orgueil, et aux valets, qu’il est si simple de prendre vanité de ce nouveau statut. Trivelin s’adressant à Arlequin : « Souvenez-vous en prenant son nom, mon cher ami, qu’on vous le donne bien moins pour réjouir votre vanité, que pour le corriger de son orgueil. »S’adressant aux maîtres : « Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons : ce n’est plus votre vie que nous poursuivons, c’est la barbarie de vos cœurs que nous voulons détruire ; nous vous jetons dans l’esclavage pour vous rendre sensibles aux maux qu’on y éprouve ; nous vous humilions, afin que, nous trouvant superbes, vous vous reprochiez de l’avoir été. » On voit dans la pièce de nombreuses situations conflictuelles : certitude, conflit vécu en fonction des habitudes de l’époque, contrainte, surenchère, jugement, prêt d’intention, abus de position dominante, vengeance,… Mais l’inversion des rôles permet d’intervertir l’image que l’on a de l’autre en soi ; l’inconfort de la situation, la plongée violente dans une position impossible permettent une certaine prise de conscience, à défaut d’une véritable métamorphose. Mais le fait d’imposer, de se tenir garant d’une idéologie, nous éloigne de cette société idéale ou la justice se veut équitable, ou aucun homme n’est supérieur à un autre et impose quoique ce soit. Lors de ce « séjour » sur l’île ce n’est pas le cas. Par exemple le discours de l’esclave et toujours positif, celui du maître toujours dévalorisé. Ils ont une absence de parole significative. Cette absence efface leur propre condition d’individus, (ce qui peut rejoindre le principe antique selon lequel l’esclave n’était pas un citoyen mais une propriété). Cléanthis profite de cette inversion des rôles pour être révolté, ce n’est que face à un Arlequin modérateur, qu’elle renonce à son ressentiment, et son discours finale peut-être interprété comme une supériorité. Il y a donc toujours un homme plus puissant que l’autre, plus intelligent, meilleur… ce n’est pas conforme à l’utopie elle-même.

Le maître redevient maître et l’esclave redevient esclave. On sort de l’utopie. La différence des conditions est maintenu, l’homme est donc très marqué par sa condition sociale et ne peut échapper à son état. A la fin de la pièce, par exemple, Arlequin et Iphicrate reprennent chacun leur habit : « Arlequin : rendez-moi mon habit et reprenez le vôtre, je ne suis pas digne de le porter ». Quand Cléanthis demande à Arlequin pourquoi il a repris son habit, celui-ci répond : « C’est ce qu’il est trop petit pour moi mon cher ami et que le sien est trop grand pour moi ». Les rapports sociaux antérieurs sont rétablis et même justifiés comme l’effet de la volonté des dieux, leur caractère inégalitaire étant même par là sanctifié : « la différence des conditions n’est qu’une épreuve que les dieux font sur nous, je ne vous en dis pas davantage » (scène 11). Que se passerait-il de retour à Athènes ? Nous n’en savons rien, en tout cas, rien ne laisse prévoir un renversement durable de la situation. L’observation faite de cette expérience utopique révèle qu’il est possible sinon difficile de sortir de sa situation. On peut échanger un costume, mais non une âme ; il est aussi difficile de fonder un ordre naturel qui ne soit pas lié à la violence et à l’inégalité. Ces conclusions habituelles de l’utopie. On ne peut s’empêcher de dire que L’Ile des

Esclaves n’a pas donné les preuves de ses possibilités, et on peut y lire l’aveu d’un premier

échec de la représentation de l’utopie. L’île des esclaves ne se veut pas plus utopique, qu’humaniste. En effet c’est une pièce qui a été écrite au XVIIIème siècle, elle peut être qualifiée de « pièce des lumières », elle en véhicule les valeurs à savoir : la raison, la liberté et le bonheur.

« Remarquez-vous,

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