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Quels sont les enjeux politiques de la mémoire? Comment transmettre la mémoire d'un drame de l'histoire?

Par   •  5 Juin 2018  •  7 236 Mots (29 Pages)  •  672 Vues

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de camions. Puis tout se tut à nouveau. Quelqu’un traduisit les ordres : il fallait descendre avec les bagages et les déposer le long du train. En un instant, le quai fourmillait d’ombres ; mais nous avions peur de rompre le silence, et tous s’affairaient autour des bagages, se cherchaient, s’interpellaient, mais timidement, à mi-voix.​

​Une dizaine de SS, plantés sur leurs jambes écartées, se tenaient à distance, l’air indifférent. À un moment donné, ils s’approchèrent, et sans élever la voix, le visage impassible, ils se mirent à interroger certains d’entre nous en les prenant à part, rapidement : « Quel âge ? En bonne santé ou malade ? » et selon la réponse, ils nous indiquaient deux directions différentes.​

​Tout baignait dans un silence d’aquarium, de scène vue en rêve. Là où nous nous attendions à quelque chose de terrible, d’apocalyptique, nous trouvions, apparemment, de simples agents de police. C’était à la fois déconcertant et désarmant. Quelqu’un osa s’inquiéter des bagages : ils lui dirent: « bagages, après » ; un autre ne voulait pas quitter sa femme : ils lui dirent « après, de nouveau ensemble » ; beaucoup de mères refusaient de se séparer de leurs enfants : ils leur dirent « bon, bon, rester avec enfants ». Sans jamais se départir de la tranquille assurance de qui ne fait qu’accomplir son travail de tous les jours ; mais comme Renzo s’attardait un peu trop à dire adieu à Francesca, sa fiancée, d’un seul coup en pleine figure ils l’envoyèrent rouler à terre : c’était leur travail de tous les jours.​

​En moins de dix minutes, je me trouvai faire partie du groupe des hommes valides. Ce qu’il advint des autres, femmes, enfants, vieillards, il nous fut impossible alors de le savoir : la nuit les engloutit, purement et simplement. Aujourd’hui pourtant, nous savons que ce tri rapide et sommaire avait servi à juger si nous étions capables ou non de travailler utilement pour le Reich ; nous savons que les camps de Buna-Monowitz et de Birkenau n’accueillirent respectivement que quatre-vingt-seize hommes et vingt-neuf femmes de notre convoi et que deux jours plus tard il ne restait de tous les autres - plus de cinq cents - aucun survivant. Nous savons aussi que même ce semblant de critère dans la discrimination entre ceux qui étaient reconnus aptes et ceux qui ne l’étaient pas ne fut pas toujours appliqué, et qu’un système plus expéditif fut adopté par la suite : on ouvrait les portières des wagons des deux côtés en même temps, sans avertir les nouveaux venus ni leur dire ce qu’il fallait faire. Ceux que le hasard faisait descendre du bon côté entraient dans le camp ; les autres finissaient à la chambre à gaz.

​Ainsi mourut la petite Emilia, âgée de trois ans, tant était évidente aux yeux des Allemands la nécessité historique de mettre à mort les enfants des juifs. Emilia, fille de l’ingénieur Aldo Levi de Milan, une enfant curieuse, ambitieuse, gaie, intelligente, à laquelle ses parents, au cours du voyage dans le wagon bondé, avaient réussi à faire prendre un bain dans une bassine de zinc, avec de l’eau tiède qu’un mécanicien allemand " dégénéré " avait consenti à prélever sur la réserve de la locomotive qui nous entraînait tous vers la mort.​

​Ainsi disparurent en un instant, par traîtrise, nos femmes, nos parents, nos enfants. Presque personne n’eut le temps de leur dire adieu. Nous les aperçûmes un moment encore, telle une masse sombre à l’autre bout du quai, puis nous ne vîmes plus rien.

​Montrez que Lévi vise à la fois à nous toucher et à nous informer.

⇨ ces documents montrent qu’une œuvre littéraire ou artistique peut contribuer à transmettre, et donc à garder vive, la mémoire des horreurs du passé.

2. Des documents iconographiques : Choisissez une de ces trois célèbres photos et rédigez un paragraphe expliquant en quoi le photographe a voulu, à travers elle, faire œuvre de mémoire (ou marquer nos mémoires, cas de la 2°), puis que cet objectif a été atteint en raison de la très grande force émotionnelle qui s’en dégage grâce à sa composition. (il s’agit de photos posées et non prises sur le vif, mais toute photo marquante - posée ou pas - l’est par sa composition).

➢ « Survivant d’un camp d’extermination Hutu » de James Nachtwey, 1994. Photo prise lors d’un reportage pour dénoncer le génocide rwandais. La photo représente un membre de la communauté des Hutu ayant refusé de participé au massacre, et qui a été puni à coups de machette (outil agricole fréquemment transformé en arme lors du génocide, lorsqu’il était commis dans les campagnes). Blessé à la gorge, il ne peut plus parler. Elle a été prise vers la fin du génocide.

​Au Rwanda, d’avril à juillet 1994, entre cinq cent mille et un million d’êtres humains ont été exterminés suivant une logique raciste. L’objectif déclaré de cette fulgurante tuerie était l’effacement, la totale extinction, d’une population minoritaire (10 % de la population) et discriminée : les Rwandais tutsis. Immédiatement après l’attentat du 6 avril, ayant coûté la vie au Général-président, des milices formées pour tuer s’engageaient rapidement dans ce qui allait devenir une gigantesque battue. Dans le même temps, un gouvernement intérimaire, constitué de putschistes extrémistes, administrait le carnage en l’élargissant rapidement et minutieusement à tout le territoire, recrutant et armant notamment des groupes dits d’autodéfense civile, au fur et à mesure que la campagne de tueries se propageait. Les leaders du Hutu Power (branche ultra-raciste du régime en place) exhortèrent tous les bons Hutus à se mettre instamment au travail, à « débroussailler », c’est-à-dire à abattre tous les Tutsis, (mais aussi les Hutus faisant obstacle à leur entreprise d’homogénéisation ethnique du peuple rwandais). Il s’agissait, comme l’enjoignait alors un animateur radio appelant au crime, « de les faire disparaître pour de bon… de les rayer de la mémoire des gens… de faire exterminer les Tutsi du globe… ». ​En moins de trois mois, plus des trois-quarts de la population tutsie a été délibérément détruite. La communauté internationale a assisté sans broncher à l’extermination préméditée, planifiée, bureaucratisée même, d’un groupe humain ethniquement défini, c’est-à-dire à un génocide (qui ne fut reconnu par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies que le 28 juin 1994). Pris au piège d’un pays entièrement

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