Molière affirme « Le théâtre n’est fait que pour être vu ». Commentez cette affirmation
Par Raze • 12 Mars 2018 • 1 686 Mots (7 Pages) • 3 564 Vues
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soutenu, une lecture d’une pièce de théâtre peut s’avérer très complémentaire à la compréhension d’une œuvre par rapport à la seule approche visuelle. Dans cette perspective, mieux que lors d’une représentation une lecture précise peut permettre d’appréhender le personnage fuyant de Lorenzaccio dans l’œuvre de Musset.
Par ailleurs lire une pièce de théâtre, c’est avoir la faculté de développer son imagination, c’est inventer une interprétation et une mise en scène sans se les voir imposer de l’extérieur. En effet l’interprétation d’une œuvre est quelque chose de tout à fait personnel. Il est alors universel de s’imaginer les personnages, les costumes colorés ou sombres, les intonations des prononciations des paroles, les décors, la physiologie du lieu ancien ou moderne, cela avec une sensibilité plus ou moins importante. Or il n’est pas rare qu’une pièce soit déformée par certains metteurs en scènes de par le caractère personnel que donne les mises en scène qui leur permet de s’exprimer librement à travers les choix qu’il fait. Ainsi Marcel Proust dans A la recherche du Temps perdu, évoque sa déception lors d’une représentation de Phèdre de Racine, qui ne correspondait pas à l’image qu’il s’était créée. On peut également mentionner la mise en scène de Nicolas Bryançon en 2009 d’Antigone d’Anouilh où Barbara Schulz dans le rôle d’Antigone joue la scène de la lettre à Hémon par l’intermédiaire du garde. La liberté du metteur en scène se ressent à travers une mise en scène assez inattendue et très moderne : les gardes en costume avec des oreillettes, types gardes du corps, un décor minimaliste, Antigone à genoux dans une fontaine circulaire qui montre son enfermement ou encore le garde qui a un chewing-gum dans la bouche. Un spectateur peut alors se trouver fort surpris d’une mise en scène inattendue et surprenante. Antoine Vitez affirme : "Une mise en scène n’est jamais neutre. Toujours, il s’agit d’un choix."
Enfin, la poésie de certains textes n’exige pas de représentation. Effectivement certaines pièces sont d’une telle complexité poétique qu’il est parfois difficile de les restreindre à des paroles trop rapides qui ne permettraient pas d’en apprécier chaque souffle et d’en comprendre la profondeur. Par exemple la musique d’un vers comme celui de Phèdre, « La fille de Minos et de Pasiphaé » existe en dehors de tout spectacle. Mais nous pouvons aussi citer Shakespeare et ses œuvres telles que Mc Beth ou Midsumme Night’s Dream, dont les paroles font presque penser à un chant rythmé ou à une poésie perpétuelle. Chaque mot prend plus de sens par la lecture :
« Life’s but a walking shadow, a poor player
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more. It is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing »
« La vie n’est qu’une ombre qui marche, un pauvre acteur qui s’agite et parade une heure sur la scène, puis qu’on n’entend plus. C’est un récit raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, qui n’a aucun sens. »
Dans cet extrait de Mc Beth Shakespeare fait passer un message lourd de sens, et ces paroles pleines de puissance ne demandent pas une démonstration théâtrale puisqu’elles ne peuvent prendre plus de sens que par la lecture et une étude approfondie de chaque mot.
Ainsi, la seule approche visuelle d’une œuvre théâtrale ne rend pas nécessairement compte de la complexité d’une œuvre dramatique, de sa poésie et de sa profondeur. Cette approche restreint aussi le texte à une interprétation qui pourrait être inattendue.
S’il est vrai que par nature, dans son écriture-même ou dans son absence d’écriture, le théâtre est fait pour être vu, joué par des acteurs, en témoignent les nombreuses indications scéniques. Il n’en demeure pas moins que limiter sa connaissance d’une pièce à la représentation risque parfois d’en donner une approche quelque peu superficielle et limitée ; la complexité et la puissance de certaines œuvres théâtrales demandent une analyse précise qui semble impossible lors d’un spectacle visuel. Les deux formes de connaissance sont donc nécessaires. Laissons le dernier mot Pierre Larthomas à qui disait dans Le langage dramatique : "On oublie, on ignore ou l’on feint d’ignorer que l’on se trouve en face d’œuvres dont la caractéristique essentielle est d’être écrite sous forme de conversation pour être jouée." Et ne serait-il pas enrichissant de pratiquer une troisième « lecture » : celle qui consiste à monter et à jouer soi-même la pièce ?
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