Cybercriminalite
Par Ninoka • 12 Février 2018 • 9 042 Mots (37 Pages) • 392 Vues
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7. Mais à la fin du dix-neuvième siècle, le droit de la responsabilité, d'essence normative, préventive et répressive est apparu, pour une assez large part, inadapté aux risques et aux dangers de la vie moderne. Les mutations sociales et économiques que la société a connues, à cette époque, ont rejailli implacablement sur son régime. L'avènement du machinisme, l'urbanisation croissante, le développement des sciences et des techniques sont, en effet, allés de pair avec une multiplication et une aggravation des préjudices: la société a perdu en sécurité ce qu'elle a gagné en modernité. De plus, une évolution sensible des mentalités s'est développée: au sentiment d'individualisme et à l'idéal de liberté se sont superposées, voire substituées, progressivement les idées d'altruisme et de solidarité. Au fond, la dangerosité croissante de notre société a engendré, dans la conscience collective, la promotion de l'indemnisation des préjudices, corporels notamment, au rang d'impératif social. En clair, l'objectif d'indemnisation des victimes de préjudices a pris le pas sur le souci de sanctionner le comportement illicite ou anormal des auteurs de dommages. Et fatalement ce passage d'un droit tourné vers la sanction à un droit orienté vers la réparation a provoqué un déclin du rôle de la faute car, pour de très nombreux dommages avatars de l'évolution de notre société ( accidents du travail, accidents de la circulation, accidents de la consommation ), il était quasiment impossible pour la victime d'apporter la preuve d'une faute à leur origine. Dès lors, de filtre nécessaire pour identifier le responsable, la faute est apparue, trop souvent, comme un obstacle à l'indemnisation de la victime ; oracle de la responsabilité, la faute est devenue un obstacle à l’indemnisation. Aussi, à partir de la fin du dix-neuvième siècle, a-t-on assisté à la prolifération de règles jurisprudentielles et légales de responsabilité sans faute, de responsabilités et de notions objectives, dont on peut examiner désormais certaines manifestations.
b) Manifestations
Après s’être arrêté sur les manifestations d’origine jurisprudentielle de l’objectivations de la responsabilité (b’), j’évoquerai les manifestation d’origine légale (b’’) de cette tendance.
b’) Manifestations d’origine jurisprudentielle
On examinera, en premier lieu, certaines règles, et en second lieu, certaines notions, qui expriment toutes cette objectivation en jurisprudence.
8. Règles de responsabilité objective, en premier lieu :
Pour illustrer cette irréversible tendance, on peut d'abord évoquer la découverte par la Cour de cassation de la responsabilité générale du fait des choses. Pour simplifier la tâche des victimes d'accidents du travail et de la circulation, pour qui l'exigence de la preuve d'une faute, à titre de condition de leur indemnisation, se traduisait le plus souvent par une absence de réparation, la Cour de cassation a purement et simplement inventé une règle de responsabilité sans faute à partir de l'article 1384, alinéa 1, du code civil. Texte qui, dans l'esprit des ses rédacteurs, était dénué de toute portée normative et ne constituait rien d'autre qu'une simple phrase de transition entre, d'une part, les cas de responsabilité personnelle, édictés par les articles 1382 et 1383, et, d'autre part, les cas spéciaux de responsabilité du fait des choses et du fait d'autrui énoncés dans les alinéas 2 et suivants de l'article 1384 : « On est responsable non seulement (...) mais encore (…) ». Autrement dit, la Cour de cassation a pour les besoins de la cause, à savoir l’indemnisation des victimes, inventé une règle de droit à partir d’une loi dénuée de toute portée normative dans l’esprit de ses rédacteurs. Apparue pour les besoins de l'indemnisation des victimes d'accidents du travail ( Cass.civ. 16 juin 1896 ), mais rendue caduque par la loi du 9 avril 1898, dont les dispositions régissent cette catégorie de dommages spécifiques, cette responsabilité générale sans faute du fait des choses a été consacrée, quelques décennies plus tard pour permettre la réparation des préjudices subis par les victimes d'accidents de la circulation ( Ch. réun. 13 févr. 1930 ). Désormais, le gardien d’une chose quelle qu’elle soit est présumé responsable des dommages causés par la chose en question ; responsabilité sans faute dont il ne peut s’exonérer qu’en apportant la preuve que le dommage a été causé par un fait extérieur, imprévisible et irrésistible. Quant au gardien, c’est encore une appréciation objective qui permet de le déterminer. Dans un arrêt rendu en 1941, la Cour de cassation a en effet décidé que le gardien est celui qui, au moment du dommage, avait l’usage, la direction et le contrôle de la chose. Mieux, pèse sur le propriétaire de la chose une présomption simple de garde qu’il ne peut renverser qu’en démontrant que la chose lui avait été volée ou qu’il en avait contractuellement remis la détention à un tiers.
9. Et deux siècles plus tard la Cour de cassation a exploité le même procédé, c'est-à-dire créer ex-nihilo une règle d'indemnisation en utilisant l'alibi de l'article 1384, alinéa 1, du Code civil, pour affirmer l'existence d'une responsabilité du fait d'autrui à la charge des personnes qui acceptent ou qui ont la charge d'organiser, de diriger et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie d'autrui ( Ass. plén. 29 mars 1991 ), qu'elle a ensuite étendue à celles qui acceptent d'exercer des pouvoirs identiques sur les activités potentiellement dangereuses exercées périodiquement par autrui ( Cass. civ. 2ème, 22 mai 1995 ). Et comme on pouvait légitimement s'y attendre lorsqu'il s'est agi de préciser la nature de cette règle de responsabilité générale du fait d'autrui, la Cour de cassation, dans l'intérêt bien compris des victimes de dommages causés par des personnes potentiellement dangereuses ou des personnes qui se livrent, sous l'autorité d'autrui, à des activités qui créent un risque pour les tiers, a décidé qu'il s'agissait d'une responsabilité de plein droit. Dès lors, la mise en jeu de la responsabilité du " répondant " de l'auteur du dommage, n'est pas subordonnée à l'administration par la victime d'une preuve de sa faute
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