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Le tournant anthropologique

Par   •  16 Octobre 2018  •  1 833 Mots (8 Pages)  •  343 Vues

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forme virtuelle, s’inscrivant dans des méthodes de recherche de plus en plus participatives. Pour l’auteure, ce mouvement ouvre de nouvelles perspectives méthodologiques pour l’anthropologie. On voit donc s’amorcer, du moins en Australie, une réelle remise en question des pratiques passées de collecte et de représentation des sociétés aborigènes, mais aussi des musées d’ethnographie et de leur autorité représentationnelle.

D’autre part, ces communautés aborigènes revendiquent aujourd’hui des droits qu’elles considèrent inaliénables, de s’exprimer sur les collections exposées dans ces musées, et de pouvoir y apporter leur influence. C’est ainsi que de nombreux Aborigènes sont aujourd’hui sollicités en tant que conservateurs, consultants ou commissaires d’exposition invités, devenant petit à petit des agents plus actifs. Pour eux, c’est aussi une manière de faire reconnaître leur histoire et leurs valeurs, de les diffuser auprès d’audiences plus larges. Dorénavant, de nombreuses recherches anthropologiques sont entreprises en collaboration avec les communautés, permettant un renouvellement de la discipline. Jessica de Largy Healy lie ici choix éthiques, questionnements épistémologiques et problèmes politiques, et annonce les prémisses d’une « anthropologie négociée » en Australie, résultant notamment de pressions d’activistes et d’intellectuels aborigènes, mais aussi d’établissements de tutelle des chercheurs. Une des manifestations de ce mouvement est la nouvelle obligation de signer un protocole éthique avant toute enquête impliquant des êtres humains. Certains comparent tout cela à une révolution épistémologique, laissant de plus en plus de place aux conceptions aborigènes du savoir.

On voit donc une réelle réflexion autour de la pratique ethnographique, mais aussi de la place et l’autorité du chercheur, la mise en archive et la restitution d’objet. On peut ici donner l’exemple des Yolngu, qui s’affirment en tant que partenaires épistémiques, et contribuent à la recherche. Aujourd’hui, ils revendiquent une participation directe à la production de données scientifiques à leur sujet, et choisissent de s’impliquer en tant que chercheurs associés. Selon Corn et Gumbula, nous devrions reconnaître aux Aborigènes un statut de partenaires à part entière dans tout type de recherche les concernant. « La prise en compte des traditions épistémologiques aborigènes dans les projets de recherche menés en collaboration influence sensiblement les méthodes d’investigation, le type de résultats obtenus et l’écriture de l’anthropologie. (…) Ces démarches expressément collaboratives posent selon eux les prémices d’une décolonisation progressive des méthodologies de recherche ». Certains disent que ce type de recherche perdrait en objectivité ou en liberté scientifique, mais selon ces auteurs, elles favorisent l’émergence d’un savoir anthropologique multi-situé, plus apte à rendre compte des expériences variées qui donnent sens aux interprétations aborigènes contemporaines.

Quant au point de vue des Aborigènes eux-mêmes, le retour de ces images amènerait de nouvelles formes de créativité, permettrait de remobiliser les groupes autour d’êtres ancestraux particuliers et de relier les générations, dans ce que Gumbula compare à une réunion de famille.

Nous pouvons voir que l’évolution des manières de faire l’anthropologie depuis son passé colonial passe par une importance de plus en plus grande donnée aux communautés étudiées elles-mêmes, notamment en Australie, dans une pratique plutôt participative que l’auteure défend.

Enfin, voyons un texte de Bronwen Douglas, qui mêle histoire et anthropologie. Son but est d’amener une manière d’appréhender les documents de la période coloniale, et de voir comment mettre en œuvre cette période de l’Histoire. Il cherche à trouver des traces de l’action indigène qui permettraient de décentrer le colonialisme, et à pratiquer une démarche critique qui passe par une auto-analyse rigoureuse de l’auteur. Récemment, des anthropologues ont reconnu que les sociétés dites traditionnelles étaient toujours insérées dans un système colonial. L’empirisme aurait longtemps passé par l’identification préalable des effets selon les intérêts des anthropologues, et par un universalisme qui projetterait notre propre moralité.

Toutefois, pour l’auteur, ces études ethnographiques ne doivent pas être jetées aux oubliettes, même si évidemment, elles n’enregistrent pas de façon mimétique la réalité. Les textes coloniaux sont contemporains des actions dont il est question, et peuvent apporter des éléments de réponse partiels quant aux actions, relations sociales et contextes locaux que l’on cherche à décrypter. Il faudrait donc déchiffrer ces traces à la lumière de leur contexte, et de celui des acteurs. L’auteur propose une déconstruction critique des biais que sont l’ethnocentrisme, le racisme, le sexisme et le paternalisme, au moyen d’une lecture créative plutôt que littérale. Selon lui, de toute façon, nous ne disposons que de sources coloniales.

Il illustre son point de vue avec « l’affaire Wagap », qui date de 1862. Dans cette affaire, trois types de sources sont utilisées, chacune étant une histoire orale en langue vernaculaire : un « poème », un récit en prose, et un texte écrit, recueillis par des chercheurs. Ces histoires diffèrent souvent entre elles, mais aussi des points de vue français de l’époque. Mais il est possible de tirer parti de ces différences intertextuelles : des perspectives distinctes sur le passé peuvent en fait se compléter, et être juxtaposées pour construire des narrations complexes. Dans cette méthode, on rejette évidemment toute prétention réaliste et mimétique, et on y préfère rassembler une gamme étendue de représentations contextualisées.

On voit ici une approche qui ne rejette pas totalement les écrits de la période coloniale, mais les complète par des récits des communautés concernées, dans le but de produire un savoir pluraliste et plus complet.

En conclusion, j’ai tenté ici de rendre compte de certains types d’approches qui naissent en anthropologie, et de manières d’appréhender le passé colonial. On peut voir qu’elles vont chacune vers une pratique plus participative quant aux communautés qu’elles étudient.

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