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Par   •  12 Février 2018  •  2 140 Mots (9 Pages)  •  371 Vues

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: ainsi, la deuxième édition du Dictionnaire des professions d’Édouard Charton (1851) au terme « journaliste » renvoie à l’entrée « homme de lettres ».12

11La condition des rédacteurs souffre aussi d’être aux ordres du pouvoir dans un pays qui ignore la liberté de la presse jusqu’en 1881. Les pressions du politique sur le journalisme d’opinion atteignent des sommets sous le Second Empire, soit au moment où la presse quotidienne devient une puissance industrielle. Ainsi les décrets de 1852 ressuscitent « l’autorisation préalable » du gouvernement sans laquelle il est interdit de fonder un journal traitant de questions politiques ou d’économie sociale. Dans la foulée, ils établissent « l’avertissement » qui, sur simple décision ministérielle, autorise la suspension de parution (pendant deux mois). Ces lois défendent également de rendre compte des procès de presse, des débats du Corps législatif et du Sénat autrement que par la publication des procès-verbaux des séances…

12En somme, le métier d’écrire au quotidien est alors plus que jamais sous conditions et l’autocensure devient une de ses contraintes majeures.13

13Mais appartenir à une rédaction garantit des appointements fixes qui, sans être mirobolants et malgré la précarité de l’emploi, acquièrent un pouvoir d’attraction de plus en plus fort. Rappelons, de surcroît, que le « métier » n’exige aucun diplôme. Au début des années 1860, un journaliste parisien peut gagner 3000 francs par an, soit l’équivalent du traitement moyen d’un instituteur dans une grande ville (1200 francs en plus du logement). Dès les années 1830, toutefois, des auteurs de romans-feuilletons négocient leur prose jusqu’à 100 000 francs (Ponson du Terrail, Eugène Sue…). C’est cependant à partir des années 1880 que l’attractivité des traitements devient la plus nette. Les salaires varient toujours en fonction de la notoriété du journaliste, de la fonction occupée, de la taille, de la périodicité du journal et selon qu’il paraisse à Paris ou en province. Mais ils augmentent de façon générale. A côté de rares « vedettes » (Emile Zola touche 1000 francs par mois au Figaro pendant l’Affaire Dreyfus), un rédacteur parlementaire empoche désormais entre 2 et 600 francs par mois, contre 300 à 1000 pour un secrétaire de rédaction. Lorsqu’un chroniqueur parisien gagne 7 à 800 francs par mois, il a alors des revenus équivalents à ceux de l’élite des agrégés de l’enseignement secondaire. Quant aux directeurs et aux administrateurs de quotidiens, ils perçoivent des intérêts en plus de leur salaire. 14

14En contrepartie, le métier nécessite de plus en plus de savoir-faire et devient toujours plus chronophage. Car aux développements de la « librairie industrielle » succède, à partir des années 1870 au plus tard, l’ère du « journalisme d’information » caractérisée par la rapidité. Rapidité du transport de l’information d’abord que permettent désormais 40 000 km de lignes télégraphiques reliant Paris à la province et la France au monde ainsi que plus de 10 000 kilomètres de voies ferrées. Les régions françaises sont désormais désenclavées alors que Paris est porté au rang de centre « névralgique » de réception et de (re)diffusion des nouvelles. Rapidité du traitement de l’information, ensuite, dans une logique de plus en plus concurrentielle. A la fin de la période envisagée, au niveau international, la presse périodique française occupe la deuxième place « derrière la presse américaine ». De façon générale, le journalisme constitue « l’un des secteurs les plus dynamiques dans tous les grands pays industriels ».15

15Dans le même temps, une massification du lectorat se produit, principalement en raison des progrès de l’instruction. Dans la capitale, entre 1870 et 1910, les tirages passent de 1 à plus de 5, 5 millions d’exemplaires par jour. Quatre « grands » titres (de diffusion nationale) se distinguent, Le Petit Journal, Le Petit Parisien, Le Matin, Le Journal, qui contrôlent à eux seuls les trois quarts du marché avec plus d’un million d’exemplaires chacun. Les tirages de la province croissent à leur tour de 700 000 à 4000 000 d’exemplaires quotidiens au cours de la période évoquée. En l’occurrence, le lien entre progrès techniques et développements de la presse - qui n’échappe pas aux contemporains16 - joue à nouveau un rôle clé : seule l’acquisition de linotypes et de rotatives permet de composer et d’imprimer autant d’exemplaires dans les délais impartis.

2. Nouveau métier, nouveaux journalistes

16Avec les années 1880, le « journal » devient un « objet de consommation courante », vendu à l’unité (et non plus par abonnement) et à prix modique. A cette date, la plupart des quotidiens coûtent en effet un sou.17 C’en est fini du « journalisme doctrinaire » remarque un contemporain ajoutant que l’homme de lettres qui conserverait le « prurit d’écrire…serait même une « plaie pour sa rédaction ».18 Il faut adapter sa prose au grand public, plaire aux masses. Pour ce faire, de nouvelles rubriques apparaissent : articles sportifs ou destinés aux femmes et aux enfants alors que s’impose le traitement « sensationnaliste » du fait divers.

17Or, pour échapper au cautionnement et aux avertissements (soit pour contourner les interdits politiques du Second Empire), un journalisme qui accordait la primeur aux actualités littéraires et artistiques s’était développé. Venu de la « petite presse » parisienne – mais copié en province-, adorateur du « beau style », il avait généré un milieu de bohèmes des boulevards haussmanniens, de chroniqueurs à l’origine de pages « bavarde(s), fureteu(ses)… légères jusqu’à la puérilité ».19 A l’image de leurs confrères commentateurs politiques, ceux-ci vont estimer qu’un journaliste « de bonne roche » doit pouvoir « écrire, au courant de la plume, l’article quel qu’il fût qui lui était commandé». En somme, à leurs yeux, la qualité du contenu de « l’information » importe moins que celle du style de son auteur. Et cette mise en forme littéraire, comme dans le cas des articles de polémistes, doit tenir davantage du savoir livresque que de l’enquête de terrain.20

18Les « nouveaux journalistes » des années 1880 mettent à mal cette conception du métier. Ni commentateurs à leurs pupitres de travail ni chroniqueurs de salons, ils posent en reporters. Il est désormais question d’arpenter l’espace public, d’entrer – y compris par effraction – dans les alcôves privées. Il s’agit de dénicher le scoop avant les confrères

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