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Désire-t-on toujours en vain?

Par   •  18 Novembre 2018  •  2 152 Mots (9 Pages)  •  515 Vues

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Ainsi on peut rêver d’une quiétude qui serait liée à l’arrêt de ce mouvement, à la satisfaction enfin obtenue qui nous permettrait d’accéder au repos, voire même à l’ataraxie, si nous parvenons à faire taire cette tempête en nous. Mais si nous y parvenons, que gagnons-nous ? Rien de plus que ce que Schopenhauer appelle l’ennui, c’est-à-dire « un vide épouvantable » qui pèse sur nous « d’un poids intolérable », et qui, à bien des égards est encore pire que la souffrance engendrée par l’ennui.

Par conséquent, il faut accepter le désir sans doute parce que nous n’avons pas d’autre alternative. Mais de quel désir s’agit-il ? Principalement du désir sensible qui reproduit l’instabilité de son objet : de même que les choses sensibles sont en perpétuel mouvement ou devenir, de même ce qui nous porte à les désirer suit ces oscillations. Ainsi, désirer une personne en vertu de sa seule beauté charnelle, c’est se condamner à ne plus la désirer dès lors que, sous le poids des années, cette beauté s’estompe. Le désir sensible avoue donc sa dépendance par rapport au temps, il ne résiste pas aux évolutions.

Or, de cette contradiction du désir charnel peut naître le désir authentique pour la vérité, comme le montre Platon dans le Banquet, qui définit la philosophie. Pour éviter les fluctuations du désir, il suffit de découvrir un objet qui ne soit plus assujetti à un tel devenir. Or, cet objet ne peut être que la vérité elle-même qui est, par définition, intemporelle, éternelle et unique. Le philosophe, qui ne désire que la vérité, échappe donc à la malédiction du désir : il ne désire qu’une seule chose, en tous temps.

Ce dernier aspect, qui fait de la philosophie elle-même une forme de désir, montre bien l’impossibilité où nous sommes de nier totalement ce qui chez l’homme relève de l’affectivité. Même en renonçant aux illusions sensibles, le philosophe reste sujet désirant, il est animé du souci de vérité. Nietzsche décrit ironiquement la philosophie comme un « idéal ascétique », c’est-à-dire comme une forme de négation de la vie. Mais l’ascète lui- même, qui croit s’être débarrassé des aléas et des pièges du désir, n’a peut-être que changé l’objet de son désir : renonçant à ce monde, il se tourne vers un au-delà plus « sûr ».

Transition logique

C’est que le désir semble jouer un rôle déterminant dans la conduite des actions humaines. En dépit des contradictions qui l’habitent, il possède une force singulière, celle de constituer la plupart de nos motifs d’action. Si l’on peut, dans ces conditions, relativiser nos expériences du désir d’un point de vue théorique en montrant pourquoi il est parfois porteur d’illusions, il est plus difficile de réduire son importance pratique, et il convient de s’interroger sur ses rapports avec les conduites humaines.

Troisième partie

Si donc le désir est à la racine de nos actes, que faut-il en penser ? Est-il synonyme de servitude et donc en vient-il à limiter notre capacité d’action au point de nous assujettir ? Mais s’il est communément admis que le désir constitue une forme d’esclavage, c’est aussi qu’il nous oppose continuellement à la réalité. Cette dernière coïncide rarement avec nos attentes, ce pourquoi nous ne l’acceptons pas comme telle : l’homme désirant est aussi un « homme révolté ». La plus élémentaire des sagesses ne consiste-t-elle pas dans ces conditions, et comme le préconise Descartes, à plutôt « changer mes désirs que l’ordre du monde » ? Mais il est clair qu’ici, nous pouvons voir dans cette maxime d’inspiration stoïcienne un appel à la résignation. Or le désir est bien au cœur de l’existence humaine. Le monde, en effet, est nécessairement valorisé par nos désirs. Nous ne rencontrons pas les choses qui nous entourent de manière neutre, sans leur assigner une signification liée à nos attentes subjectives. Le désir produit donc bien un type de savoir sur ce qui nous environne et ce savoir se caractérise par la valeur que nous conférons aux objets désirés. Comme l’a montré Spinoza, nous ne désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne ; mais au contraire, « nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir ».

Le désir, par conséquent investit notre vie et il semble difficile de l’éviter. Cela a une contrepartie, qui est que nous pouvons facilement basculer dans l’illusion et « prendre nos désirs pour la réalité ». Mais que vaudrait une vie sans désirs ?

En fait, il ne convient pas d’opposer les désirs et la réalité, comme nous le faisons trop souvent, à la suite, par exemple de l’analyse freudienne, qui associe le désir à la production de fantasmes. Le principe désir dans une telle analyse viendrait se cogner au principe de réalité comme un insecte se cogne sur une vitre sans parvenir à la traverser, alors même qu’il aperçoit l’espace extérieur qui représente pour lui son salut. Ici le désir échoue toujours devant la réalité à laquelle il doit nécessairement se soumettre, puissance normative qui rectifie ses élans et empêche tout débordement.

Mais le désir, comme le fait remarquer Gilles Deleuze, n’est pas simplement producteur de fantasmes, il produit également du réel. Le désir n’est pas manque, il est production. Il contribue à étendre le monde humain, à ouvrir de nouvelles perspectives. Ainsi en est-il par exemple de la figure du révolutionnaire, qui veut changer le monde et se donne les moyens de mettre le réel en conformité avec ses idéaux. Ou encore l’artiste, qui donne corps à ses idées artistiques à travers un effort de création, qui consiste à imposer au monde une forme humaine. Hegel disait déjà que « rien de grand ne s’est effectué dans le monde sans passion. »

Conclusion

Ainsi, à la question initiale qui était de savoir si le désir doit se soumettre au réel ou le précéder, nous répondons qu’il est toujours à la source de toute initiative humaine, qu’il contribue à donner sens à notre existence, et que, même si parfois il doit être tempéré par notre raison, c’est lui qui donne l’impulsion initiale qui transforme l’impossible en possible.

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