Le roman, doit-il faire oublier au lecteur que les personnages sont fictifs ou au contraire le lui rappeler ?
Par Ninoka • 30 Septembre 2018 • 1 678 Mots (7 Pages) • 732 Vues
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Par ailleurs, à trop vouloir rendre réalistes son œuvre et ne plus laisser part à la fiction, l’écrivain risque de créer une rupture, face à un lecteur déstabilisé qui n'aura d'autre envie que de quitter un livre incompréhensible. Si les écrivains de Nouveau Roman cherchent à remettre en question l'approche du personnage, seule une élite voue un intérêt à leurs créations. Les personnages y deviennent des figures indécises, identifiées par une initiale, un pronom personnel, ou un nom qui est plus une référence culturelle qu'une identité ; leur parole est souvent hésitante, révélant ainsi notre difficulté à choisir des directions. Si l'objectif des nouveaux romanciers est tant d'exprimer l'échec de la communication que les difficultés de notre rapport au monde, le lecteur ne s'en lasse pas moins et abandonne aisément un tel ouvrage dont les répétitions peuvent être autant d'obstacles au plaisir et à la compréhension. Ainsi le "voyage mental" de Léon Delmont qui occupe, dans son lent monologue intérieur, l'intégralité de La Modification de Michel Butor, est certes d’une impressionnante précision, mais aussi une épreuve pour un lecteur qui n’est pas habitué à une telle charge littéraire.
Enfin, on peut constater la difficulté à faire oublier au lecteur que les personnages sont fictifs. "Les réalistes sont des illusionnistes" proclame Maupassant dans la préface de Pierre et Jean. Il est évident que l'œuvre romanesque est défini par les choix effectués par l'auteur. S'il veut écrire la réalité, il utilise la rhétorique : choix des mots, choix des formules et des procédés d'expression, ne pourraient totalement faire oublier la fiction, y compris dans un texte aussi novateur que L'immortalité de Milan Kundéra où le narrateur se confond avec le romancier. Certes, il inscrit le personnage dans le réel par le champ lexical du regard : "je ne peux la quitter des yeux" (l.8), "j'ai vue" (l.12)... Et pourtant, Agnès reste un être fait de mots, qui va naître dans la métaphore finale de l'extrait : "cette nostalgie a accouché du personnage auquel j'ai donné le nom d'Agnès".
Si le roman ne peut ni ne doit chercher à faire oublier au lecteur que ces personnages sont fictifs, il doit trouver un moyen de fasciner celui auquel il s'adresse, sans pour autant le rendre dupe.
Le plaisir du texte peut passer par l'acceptation de la fiction qui, quoi qu'il en soit, appartient au genre romanesque.
De fait, le romancier peut se transformer en dieu le temps de l’écriture de son oeuvre. Que ce soit les personnages de La recherche du temps perdu, des Rougon Macquart, ou de la Comédie humaine, il n’existe que dans l'imagination de Proust, Zola ou Balzac ; pourtant, ces écrivains donnent naissance à des microcosmes dans lesquels le lecteur pénètre avec plaisir. Assister au salut d'Eugène Rastignac qui lance un défi à la société parisienne dans les dernières pages du Père Goriot, puis le retrouver gravissant les échelons de l'aristocratie dans Les illusions perdues est presque un gage de son existence. Cette répétition des personnages crée le schéma d’une société fictive qui donne au lecteur l’impression de lire l’histoire de personnes ayant existés, à qui il s’attache et de qui il veut connaître l’histoire.
On ne pourrait totalement faire oublier au lecteur que le personnage est fictif ; pourtant, on peut faire du héros du roman un étendard et un support de réflexion invitant le lecteur à réfléchir sur le monde réel. Comment imaginer que Meursault, narrateur de l'Etranger de Camus, puisse exister. Quel homme pourrait être si détaché des émotions, de la société, de lui-même ? Comment croire un seul instant à la scène centrale du meurtre ? Aveuglé par le soleil, il tue un homme à terre ; "la mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu.". La force de la métaphore nous invite à réfléchir à la folie de l’appareil judiciaire qui condamne un inconscient.
Enfin, le plaisir de la lecture peut se conjuguer avec le plaisir de repérer les partis de la fiction montrer dans la création du personnage. Dans le roman de Gide, Les faux monnayeurs, la mise en abyme nous entraine au centre de la création romanesque. Si Edouard est une figure du romancier, reflet de Gide lui-même, il devient celui qui nous révèle ironiquement les paradoxes du personnage romanesque dans sa recherche du "roman pur : "Le romancier d'ordinaire ne fait point suffisamment crédit à l'imagination du lecteur...". Or si Edouard refuse de décrire le personnage, Gide, lui, est amené à nous donner des indications qui nous permettront de distinguer Bernard, Olivier, Boris et l'éventail des faux monnayeurs qui sont autant de symboles du mensonge romanesque.
Le roman est une invention. On peut donc aisément dire qu’il difficile et peu conseillés, de faire oublier au lecteur que les personnages sont fictifs.
Certes, le lecteur se rapproche des personnages qu’il pense être réel; pourtant, il est impossible de copié-collé le réel dans le roman, juste de l’écart crée par les mots.
Il convient alors de considérer que le lecteur doit accepter que les personnages soient fictifs pour optimiser les possibilités du roman.
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