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Incipit: L'Etranger - A. Camus

Par   •  5 Avril 2018  •  2 340 Mots (10 Pages)  •  1 292 Vues

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Qualifie l d' « excuse ». Aux lignes 12-13, l'expression « affaire classée » appartient au vocabulaire administratif, pénal ou policier et manifeste son envie d'en finir rapidement, voire son embêtement. Le seul terme qui pourrait décrire le choc subi par l'annonce de la mort de sa mère, « étourdi » l.17, ne se rapporte pas à la tristesse du narrateur mais la subordonnée de cause l.17-18 signale que cet étourdissement est dû au fait qu'il a monté les escaliers. Pire ! Dans le trajet qui l'emmène à l'asile, il s'endort l.22. La cause de cet assoupissement n'est pas non plus le chagrin mais la fatigue physique l.20-22.

Détaché du monde, M apparaît parfois comme un enfant : phrases simples, peu de connecteurs, utilisation du mot « maman », sieste dans le bus pour Marengo (« je me suis assoupi », « j’ai dormi presque tout le trajet »)… Il semble ne pas avoir pleinement conscience du monde qui l’entoure. De même, malgré cet événement exceptionnel, il ne change pas ses habitudes et rend au restaurant pour manger : « J’ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d’habitude », ce qui semble indiquer qu’il n’est pas particulièrement troublé par la nouvelle qu’il vient de recevoir.

B – …Mais en réalité complexe

Malgré cette apparente indifférence, Meursault fait preuve de bonne volonté tout au long de cet incipit et se conforme aux codes.

Il a l’intention de partir sans tarder pour pouvoir veiller sa mère (« Ainsi, je pourrai veiller », paragraphe 2), il demande « deux jours de congé à [son] patron », il a l’intention de porter les habits de deuil (« quand il me verra en deuil ») et emprunte même à son voisin Emmanuel « une cravate noire et un brassard ». A cet égard, il fait tout ce qu’on attend de quelqu’un qui vient de perdre sa mère.Cet incipit dévoile en outre un personnage qui se sent coupable, comme le montre la conversation rapportée entre lui et son patron.

Il se sent obligé de justifier son départ pour que le patron ne pense pas qu’il cherche simplement à prendre des congés : « Ce n’est pas de ma faute », même s’il ajoute immédiatement : « je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. »

Transition : Malgré son apparent détachement et une absence d’émotions, l’incipit révèle un narrateur plus complexe qu’il en a l’air. Le lecteur doit-il déjà faire son procès, ou y a-t-il des raisons qui expliquent cette attitude ?

III – Un personnage à condamner ?

A – Une situation d’énonciation ambigüe : entre journal intime et compte rendu

Le récit dans ce chapitre 1 de L’Etranger prend la forme d’un journal, comme le montrent l’utilisation de la première personne et du passé composé (« j’ai reçu », « j’ai demandé »). Nous sommes donc dans le domaine de l’intime.

Le narrateur y fait l’inventaire de ses actions de la journée par de nombreux verbes d’action (« j’ai pris l’autobus », « j’ai mangé », « je suis parti », etc.), selon un déroulement chronologique.Il expose également ses projets. Le futur sert à décrire les actions qu’il compte entreprendre dans un avenir proche : « Je prendrai l’autobus », « j’arriverai dans l’après-midi ».

Il manque cependant au récit l’analyse des événements et la description des sentiments propre au style du journal.Au contraire, Meursault livre au lecteur une sorte de compte rendu extrêmement factuel, n’hésitant pas à détailler des éléments sans importance, comme le fait qu’il ait la tête qui tourne en montant un peu vite les escaliers.

Cette écriture « blanche » retranscrit le cheminement des pensées du narrateur, sans effet de style : Ce choix narratif permet à Camus de nous plonger littéralement dans la conscience du héros, ce qui est signalé par l'omniprésence des marques de la 1° personne (31 occurrences).

B – Les indices de l’attachement à sa mère

Même si ce n’est pas évident au premier abord, certains petits indices montrent que Meursault avait de l’affection pour sa mère et que sa mort le touche.

Ainsi, lorsqu’il reformule le message du télégramme dans ses propres mots (« Aujourd’hui, maman est morte »), « mère » devient « maman », « décédée » devient « morte ». Le style froid et officiel du télégramme prend une dimension plus humaine, presque enfantine, dans les mots de Meursault, trahissant un certain désarroi.

Par ailleurs, il ne semble pas prendre pleinement conscience de cette nouvelle.

Bien qu’il décide de partir immédiatement, il affirme un peu plus loin : « Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte » (reprenant ainsi la formulation enfantine). C’est une sorte de déni qui contribue à expliquer sonattitude détachée.

De même, l’explication qu’il donne au fait qu’il s’endorme immédiatement comprend beaucoup de choses : la course, les cahots, l’odeur d’essence, la réverbération, mais l’utilisation de l’adverbe « sans doute » (« c’est à cause de tout cela sans doute ») peut être interprété comme une incertitude de la part du narrateur, qui est peut-être plus affecté qu’il ne veut bien l’admettre (le « tout cela » pourrait bien inclure la mort de sa mère).

B.Conclusion :

Ce début de récit est surprenant essentiellement car celui qui conduit la narration semble en marge des normes sociales. Au procès, c'est cette marginalité qui lui sera reprochée et non l'acte criminel pour lequel on le jugera : pour être un homme, il faut pleurer à l'enterrement de sa mère. C’est un personnage extrêmement ambigu qui est introduit dans cet incipit. Son apparente froideur est à nuancer, car de nombreux indices montrent un personnage plus affecté qu’il n’y paraît. Le début du roman annonce déjà le procès : l’incompréhension du jury sera à l’image de l’incompréhension du lecteur dans l’incipit, face à l’attitude étrange de Meursault. En plus d’un sens, ces quelques paragraphes suffisent à expliquer le titre : Meursault est étranger au monde (car il ne mesure pas totalement la portée des événements) et étranger à lui-même (car il n’est pas capable de formuler ce qu’il ressent). Même si on a qq éléments de l’incipit toutes nos attentes sont brouillées puisque c’est

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