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Ile des esclaves, scène 6

Par   •  11 Septembre 2018  •  1 468 Mots (6 Pages)  •  841 Vues

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Cléanthis se comporte, en revanche, de façon différente. Sans jamais rire de son propre jeu, la jeune femme se prend au sérieux et s’indigne du comportement de son partenaire. Elle intervient pour blâmer les pitreries d’Arlequin : « vous défigurez notre conversation » l.10. Sous la plume de Marivaux, cette attitude est également une forme de parodie : en se prenant au sérieux, Cléanthis tend à prouver que les aristocrates sont dupes du jeu auquel ils se livrent. Prisonniers des codes de la vie galante, ces êtres ont perdu toute lucidité, toute authenticité. Leur vie est une comédie dont ils sont les acteurs.

Cette dénonciation de la comédie humaine est d’autant plus forte qu’Arlequin et Cléanthis jouent, à leur manière, une petite scène de théâtre impromptue.

La didascalie qui introduit cet extrait l.2/3 laisse clairement entendre que les personnages se donnent la comédie. Le fait qu’Arlequin et Cléanthis se promènent « sur le théâtre » l.4, et non aux abords d’un village ou d’une plage, est très significatif :la scène sur laquelle ils évoluent ne représentent plus une île mais le monde du théâtre que le dramaturge se plaît à mettre en abyme.

Il en résulte un changement de rôle des personnages. au cours de cette scène, arlequin et Cléanthis sont devenus comédiens et incarnent des personnages de l’aristocratie. L’emploi répété des termes « Madame » et « Monsieur », la préciosité du vocabulaire et le vouvoiement témoignent de ce changement d’identité.

Les anciens valets sont aussi metteurs en scène de la petite comédie qu’ils improvisent. Dans le passage qui précède cet extrait, Cléanthis a pris le temps d’organiser la trame de leur brève représentation théâtrale. Les répliques indignées qu’elle adresse à son partenaire l.10 et 12 témoignent de son désir d’être à la fois comédienne et metteur en scène. De là, le double langage qu’elle adopte : la jeune femme joue le rôle d’une parfaite coquette lorsqu’elle s’exclame à l’adresse de celui qui la courtise : « Quelle vivacité ! Faut-il vous dire qu’on vous aime ? l.20/21. Elle est, en revanche, metteur en scène lorsqu’elle peste contre Arlequin, comédien incapable de tenir durablement son rôle : « Qu’avez-vous donc vous défigurez notre conversation. » l.10.

Enfin, Arlequin et Cléanthis n’oublient pas que le théâtre, art du spectacle, suppose la présence de spectateurs. La didascalie initiale laisse entendre qu’Iphicrate et Euphrosine , réduits au silence, jouent ce rôle auprès de leurs anciens esclaves. Parce qu’ils assistent, impuissants, à la contrefaçon de leurs attitudes, les maîtres déchus sont aussi spectateurs de la comédie qui les ridiculise.

Les acteurs qu’Iphicrate et qu’Euphrosine découvrent sur scène n’appréhendent pas le rôle qui leur est imparti de façon similaire.

Incapable de s’identifier pleinement à son personnage, Arlequin ne peut contraindre durablement sa nature, faire fi de sa bouffonnerie et renoncer à sa sincérité naturelle. Aussi laisse-t-il libre cours à sa spontanéité. Par ses éclats de rire l.9 et 22, le jeune homme brise l’illusion sur laquelle repose le jeu théâtral, il cesse d’être Iphicrate et redevient lui-même. Ses facéties, sa vivacité et son inconstance rappellent que le personnage est issu de La commedia dell’arte. Avec Arlequin, la scène de séduction galante devient une improvisation bouffonne.

Cléanthis incarne, en revanche, son personnage avec sérieux et conviction. Ses manières sont celles d’une coquette qui feint d’être indifférente aux compliments qu’on lui adresse pour en susciter de plus tendres. Elle minaude comme minaudait Euphrosine. Son travail de comédienne consiste donc à combler la distance qui la sépare du modèle à imiter, à se glisser dans la peau d’Euphrosine. Elle est ainsi plus proche des personnages de Molière que de ceux de la commedia dell’arte. Le théâtre qu’elle représente est moins improvisé que celui de son partenaire.

En faisant jouer ses personnages dans une comédie dans la comédie, Marivaux tourne en dérision les comportements aristocratiques de son temps et, cette deuxième épreuve infligée aux maîtres permet de faire tomber les masques et de diriger les protagonistes vers des sentiments authentiques.

Mais cette petite comédie est aussi pour Marivaux l’occasion de montrer ce qu’est le théâtre et de faire la synthèse sur les deux pratiques théâtrales dont le dramaturge est l’héritier.

Cette scène rappelle les saynètes jouées par les personnages dans la dernière pièce de Marivaux Les acteurs de bonne foi où le théâtre dans le théâtre est également un procédé de révélation de la vérité.

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