La croix de Ruthwell
Par Andrea • 21 Septembre 2018 • 3 149 Mots (13 Pages) • 395 Vues
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Ce caractère nomade est aussi présent pour la croix de Ruthwell. Les sculpteurs ont probablement été formés à Jarrow, près de Newcastle dans le nord est de l'Angleterre. Ils se sont ensuite déplacés le long du mur d'Hadrien pour s'établir à Ruthwell. Sur leur chemin ils ont travaillé et ont laissé des productions telles que la croix de Bewcastle.
Originellement, la croix est un signe pas une image. Elle n'est donc pas supposée poser des problèmes d'idolâtrie. Elle est même une image inspirée directement par Dieu. On peut se référer au récit de la conversion de l'empereur Constantin dans la Vie de Constantin d'Eusèbe de Césarée. Le signe de la croix y apparaît deux fois. Le jour Constantin prie puis voit le « trophée de la croix » accompagné des paroles de Dieu qui lui dit « Hac vince », « Vainc par celle-ci ». La nuit le Christ se manifeste à Constantin dans un songe. Jésus lui tend le signe. Ainsi l'empereur crée le labarum se composant de l'association du chrisme et de la croix. Ce signe est arboré sur les boucliers de son armée lorsqu'il combat l'usurpateur Maxence au pont Milvius en 312. Symboliquement cet épisode marque la victoire du monothéisme sur le polythéisme et aussi du signe de la croix sur les idoles.
La croix peut ne pas être considérée comme une image si on la voit en tant que métaphore ou « semblance »[2] de la croix du sacrifice du Christ. Aux débuts de la construction de l'iconographie chrétienne la croix était également un moyen de pallier au manque d'images et était également symptomatique de ce manque.
On peut citer un passage du récit de l'Historia Ecclesiastica gentis Anglorum de Bède le Vénérable datant d'environ 730. Il raconte l'arrivée du moine Augustin en Grande-Bretagne. Le moine brandissait l'image du crucifié. L'auteur nous montre que la croix renvoie encore plusieurs siècles après la victoire de Constantin à un signe militaire dont se sont emparé les armées chrétiennes. Cet acte de saint Augustin marque la victoire du roi Oswald contre les païens du Nord en 634. La croix avait été dressée sur un champs pendant la bataille. On avait donné à ce champ le nom de Hefenfelth qui signifie « champ céleste ». Après la victoire la croix accomplie des miracles et les fidèles en font des reliques.
On tire alors la conclusion que la croix, en plus d'être une Arma Christi, est un signe de gloire et de victoire chrétienne.
Sur la croix de Ruthwell des scènes bibliques sont représentées. On trouve un panneau où le Christ est présenté triomphant sur des animaux. Le sujet représenté fait débat mais l'inscription latine nous indique qu'il est plus probable qu'il s'agisse du Christ reconnu par les animaux du désert. L'interprétation que l'on peut tirer de cette épisode et de cette image est le triomphe du Christ dans la Tentation au désert. Les animaux reconnaissent en effet le pouvoir divin du Christ. C'est donc une façon de mettre en exergue la double nature du Christ. Il en est de même pour la présence de la figure du Christ thaumaturge dans la guérison de l'homme né aveugle. Cette scène fonctionnerait avec le panneau de la Crucifixion. Il en est effet question dans les trois panneaux que nous avons cité ici du triomphe du Christ sur le mal. Sa consubstantialité est louée par ces épisodes où la divinité de Jésus est mise à l'épreuve. Cette image triomphante fait également écho à la christianisation des régions celtiques. Son humanité est sensible sur le panneau de Marie-Madeleine essuyant les pieds du Christ à l'aide de ses larmes et de sa longue chevelure. Les fidèles peuvent se reconnaître dans la figure de cette femme au service de Jésus et de Dieu.
Le décor sculpté de la croix de Ruthwell a une organisation particulière. D'abord selon Howlet il y a un dialogue entre les faces nord et sud qui instaure une correspondance. Nous avons pu le constater précédemment. Il est possible que la face sud soit destinée aux fidèles. Il s'agirait de la mise en valeur de l'Ecclesia. La face nord quant à elle exalterait la Vita Monastica et est visible par les moines de Ruthwell. Un autre élément régie l'organisation du décor de la croix. Selon Daniel Russo, les épisodes représentés sont disposés selon l'année liturgique. La fuite en Egypte suggère un passage des Évangiles qui est lu le jour des saints Innocents le 28 décembre. Sur la dalle au-dessus avec saints Paul et Antoine rompant le pain dans le désert, Paul en ermite rappelle sa propre commémoration qui a lieu le 10 janvier et celle d'Antoine abbé le 17 janvier.
A présent nous verrons comment la croix et son décors peuvent être interprétés avec la présence du poème. Le Songe de la Croix est le poème le plus ancien connu à ce jour en langue vernaculaire. Une version de cent cinquante-six vers est conservée dans le manuscrit de Vercelli qui date de la seconde moitié du X siècle.
L'image et le texte sont étroitement lié par la capacité de l'écriture à faire émerger des images dans l'esprit du spectateur. Cette affinité image-texte est d'ailleurs présente dans les manuscrits où l'image donne une dimension particulière au texte.
Deux passages du poème sont inscrits sur la croix en caractères runiques.
Il s'agit d'un poème onirique divisé en quatre parties. Dans un premier temps le narrateur raconte son rêve. Il voit la croix qui s'élève vers le ciel. Elle est d'abord couverte d'or et de gemmes puis elle est ensanglantée.
Dans la deuxième partie, c'est la croix qui parle. Elle raconte la façon dont l'arbre ayant servit à sa fabrication a été abattu et la manière dont elle a été érigée. Elle dépeint les outrages qu'elle subit communément avec le Christ avant que les disciples de déposent le corps. Enfin elle relate comment elle a été décimée et cachée pour être retrouvée par les chrétiens qui l'ont couverte d'or et d'argent. Ce dernier passage fait référence aux fêtes de l'Invention et de l'Exaltation de la croix.
Dans la troisième partie la croix s'adresse au songeur et l'enjoint d'exposer sa vision pour propager le mystère de la Passion et de la Résurrection ainsi que la seconde Parousie.
A la dernière partie le narrateur manifeste son désir de contempler la croix dans l'éternité.
Le poème appuie la particularité
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