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Précarité : les femmes surexposées

Par   •  23 Avril 2018  •  3 325 Mots (14 Pages)  •  431 Vues

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lendemain », note Patricia Léger, directrice de l’Amicale du Nid 93. Le local, ouvert du lundi au vendredi avec une pause à midi, leur offre, outre un peu de répit, un accès à des prestations de première nécessité : se laver, laver leurs enfants, faire leur lessive, se restaurer... Elles peuvent également utiliser différents moyens de communication pour faciliter leurs démarches d’accès aux droits. Parallèlement, un accompagnement social leur est proposé, de même que des actions de soutien à la parentalité.

S’il est une bouffée d’oxygène, ce type de lieu n’offre toutefois pas de réponse en matière d’hébergement. Or le 115 est saturé : «L’État n’assume plus totalement sa protection, même envers les femmes avec enfants », se désespère Patricia Ces dernières continuent à être orientées vers des hôtels toujours plus éloignés, avec des répercussions en chaîne sur la scolarisation de leurs enfants et, lorsqu’elles en ont un, sur leur travail. Patricia Léger déplore la multiplication de «situations dramatiques », telle cette «femme dont l’enfant est scolarisé à Paris, qui travaille à Epinay-sur-Seine, mais à qui on a trouvé un hébergement à Rubelles, à côté de Melun, à l’autre bout de la région parisienne !» Ailleurs, c’est une femme avec trois enfants, victime de violence conjugale, qui, alors qu’elle venait d’être mise à la porte par les personnes qui l’hébergeaient temporairement, a fait l’objet d’un jeu de ping-pong entre les différentes institutions de Saint-Denis et de Paris.

Dans ce contexte, les travailleurs sociaux sont acculés à bricoler des solutions dans l’urgence, alors qu’il faudrait, compte tenu du caractère à la fois divers et cumulatif des difficultés de ces femmes, mettre en place des réponses globales pour prévenir l’ensemble des risques auxquels elles sont exposées. Car, si certains varient peu en fonction du sexe (problèmes de santé, de logement, liés à la précarité), d’autres sont nettement corrélés au genre - à l’instar des risques de violences (conjugales, professionnelles, sexuelles...) et de prostitution, qui sont plus élevés chez les femmes que chez les hommes. Pourtant, rares sont les dispositifs qui prennent ces spécificités en compte.

«Envahies par les problèmes qu’elles rencontrent, les femmes qui viennent nous voir sont dans la survie», observe Yasmina Bougheriou, médiatrice socioculturelle au centre social du Londeau à Noisy-le-Sec. Le moindre «accident» de la vie (perte d’emploi, maladie, perte du conjoint...) peut les faire basculer dans la pauvreté, voire dans la grande pauvreté.

Dans son rapport 2009 (5), le Secours catholique a étudié le budget de mères seules avec enfant(s). Après avoir soustrait les dépenses contraintes (loyer, transport, énergies, eau...) de leur revenu mensuel médian, l’organisme caritatif aboutit à un reste à vivre de 225 € par mois. «Lorsqu ’on ajoute les dépenses “souples ”, soit 195 € en moyenne pour l’alimentation et 35 €pour l’habillement, même sans tenir compte de la santé, des frais d’entretien du logement, des imprévus..., le compte n’y est pas et l’endettement est inéluctable », analyse Dominique Saint-Macary. Avec la charge de la dette, le solde final est de moins 25 € ! «L’endettement est un des problèmes les plus importants lorsque les femmes viennent nous voir», observe Patricia Léger. «C’est un cercle vicieux quifait qu ’on voit des femmes qui glissent vers le non-recours car elles ont le sentiment d ’être dans une situation insoluble», note Adeline Cerutti, formatrice à la Maison des femmes de Montreuil (Seine-Saint-Denis). A rebours de ce sombre tableau, nombre d’acteurs pointent la force de mobilisation des femmes. «Elles ont une capacité à trouver des ressources, à être solidaires entre elles : quand on leur donne un endroit où se poser, elles l’investissent beaucoup plus que les hommes», affirme Philippe Avez, directeur de l’association C2DI93. «Je suis toujours surprise de voir combien les femmes rebondissent dès lors qu ’on leur propose une intervention éducative ou un accompagnement social qui leur permettent d’imaginer d’autres futurs possibles», renchérit Sylviane Le Clerc.

Bien plus que ces aptitudes informelles, seul l’emploi peut néanmoins véritablement aider ces personnes à (re)conquérir leur autonomie et à se projeter dans l’avenir en leur permettant d’acquérir, outre un salaire, le statut et les droits qui vont avec (sécurité sociale, formation professionnelle, compte bancaire, parfois tout simplement l’accès au centre de loisirs et à la cantine pour les enfants...). Encore faut-il que certaines représentations sur ces femmes changent. «A l’ANPE, on nous répétait sans cesse qu ’elles étaient inemployables à cause de leur supposé parcours chaotique et du “trou ” dans leur CV lié aux années de galère. Pour nous, il était clair au contraire qu ’elles avaient des savoir-faire et des compétences qui pouvaient les mener vers l’emploi», explique Patricia Léger. L’Amicale du Nid 93 a ainsi participé, avec une quinzaine d’autres associations du secteur social, à la création, en 2001, de l’association d’insertion professionnelle C2DI 93 (contraction de CDD et CDI). S’inspirant d’expériences d’intermédiation vers l’emploi, cette dernière vise à proposer des emplois stables (CDD à temps plein de plus de six mois ou CDI à temps plein) en organisant une relation directe entre l’employeur et les personnes orientées par les associations partenaires - 300 par an, dont la moitié sont des femmes. Par ce biais, qui permet de contourner CV, lettre de motivation et entretien d’embauche, les aptitudes personnelles sont mises en évidence et le caractère «hors-norme» des parcours devient secondaire. Parallèlement, C2DI93 s’appuie sur l’accompagnement social proposé par les associations partenaires pour trouver des solutions au cas par cas (garde d’enfants, coupons de transport...). «L’emploi les transforme: certaines changent de lunettes et vont chez le coiffeur, ce qu ’elles n ’avaient pas fait depuis des années, observe Philippe Avez. Mais, même en procédant de la sorte, c ’est toujours beaucoup plus compliqué pour les femmes dans la mesure où, aux problèmes de disponibilité liés aux enfants, s ’ajoutent les difficultés associées aux emplois qu ’on leur propose, à 75 % à temps partiel. » Pour limiter au minimum les effets négatifs de ce type d’emplois précaires, le réseau national «Tissons la solidarité», qui regroupe 70 chantiers ou entreprises d’insertion dans le secteur du textile et de la mode, défend plusieurs conditions auprès des entreprises qui embauchent leurs salariés (à près de 85 % des

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