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Le nomos de la Terre

Par   •  8 Avril 2018  •  1 748 Mots (7 Pages)  •  480 Vues

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Cette respublica formant le premier nomos était restée concentrée sur le vieux continent, considérant que le Nouveau Monde n’avait pas encore vraiment d’intérêt. Le pouvoir, pendant cette période moyenâgeuse, était divisé selon l’auteur entre le Pape (détenant le pouvoir religieux spirituel) et l’Empereur (détenant le pouvoir temporel). Les deux co-existaient — et malgré quelques conflits politiques internes entre les états pontificaux et les monarchies environnantes — il existait un équilibre avantageux pour l’ordre chrétien. Schmitt constate une corrélation négative entre le jus ad bellum (droit à la guerre) et le jus in bello (droit dans la guerre): plus la guerre est considérée comme “juste”, plus l’ennemi est considéré comme injuste, et plus les moyens que la guerre emprunte sont violents pour terrasser cet ennemi. Aussi, cet équilibre dans ordre précurseur rendait parfois confus l’ordre spatial pourtant crucial dans la distinction entre le pouvoir de potestas (patriarcal romain) de l’Empereur, et l’autorité d’auctoritas papale en Europe. En outre, l’unification par le droit de cet espace qu’est l’Europe médiévale se fait en raison de “l’existence d’un dehors”, d’un espace libre échappant au droit : la Mer. Il n’y a possibilité de “légiférer un dedans” que parce qu’il existe un dehors qui échappe au droit.

Mais cet ordre chrétien médiéval s’essouffla au XIIIe siècle lorsque la majorité des régimes se désolidarisèrent dans la loi et dans leurs pratiques politiques et découvrirent en outre le Nouveau monde : c’est le deuxième nomos. L’ordre chrétien devint un ordre plus général de peuples européens. Néanmoins la religion continua de garder un rôle essentiel dans la définition de guerres “justes” et d’ennemis “légitimes”. Les guerres furent alors “encadrées” en distinguant différents types de conflits, et par conséquent en distinguant les peuples qui les menaient (religieux ou non religieux par exemple). C’est un encadrement plus large, plus solide de la guerre décrit par Schmitt, c’est-à-dire sa rationalisation, son humanisation et sa légalisation, sur un espace délimité qu’il trouve avantageux pour tous les états de ce nouveau Jus Publicum Europaeum. Ceci a été rendu possible en limitant exclusivement la guerre à une relation militaire entre des états souverains territorialement définis. Comme le décrit l’auteur, tout comme un duel traditionnel, les états combattaient entre eux entant que puissances souveraines égales, comme s’il existait des règles de jeu connus et des présupposés communs sur la guerre (sur les combats et leurs conséquences funestes) partagés par tous. Cet “encadrement” de la guerre est alors la condition du maintient du nomos.

Aussi les états combattent entant que justus hostis (ennemis justes) avec la même caractérisation politique et les mêmes droits, d’où le fait que la guerre n’était pas totale, avec pour seul but l’anéantissement de l’ennemi comme c’était le cas pour les guerres de religion et les conflits barbares de conquête antique. Le statut même de l’état adversaire n’était pas questionné comme dans les conflits civils d’aujourd’hui avec les termes “d’insurgés”, avec la question de savoir qui décide de la légitimité d’indépendance d’un état : la notion actuelle d’ennemis “justes” soulève la notion de “guerre juste”. Dans le Jus Publicum Europaeum, l’équilibre des pouvoirs est très important, chacun doit conserver son status quo car chacun était conscient que les destins des états étaient vraiment interdépendants. Ainsi l’ennemi qui menace le nomos est un “ennemi injuste”, qui n’a pas de reconnaissance, et contre qui est menée une croisade dépassant la notion de “guerre juste”. C’est la raison pour laquelle les insurgés ou les pirates sont une menace pour tout ce qui lient le Droit et la terre. Les chapitres définissant le Jus Publicum Europaeum (la partie III) illustrent en outre ces principes, notamment avec la mobilisation américaine dans la guerre menée contre le terrorisme, la réussite singulière de ce nouvel ordre n’étant pas la fin de la guerre, mais son encadrement.

Ce nomos cependant commença à s’affaiblir à la fin du XIXe siècle lors des signatures de plusieurs traités découpant les frontières africaines (par exemple le traité Heligoland-Zanzibar de 1890), et de la question de l’impérialisme américain soulevée par la doctrine Monroe, rompant avec l’Europe. Ce que Schmitt vit comme une sorte de décadence c’est la fin d’un nomos eurocentrique au sein du droit international ; la création d’un nouveau nomos de la Terre, fondé sur la suprématie de nouvelles puissances. Evidemment l’échec de la SDN pour ce qui est de créer un véritable nomos de la Terre entière, et les Guerres Mondiales qui suivirent en conséquence ne firent qu’accentuer le déclin du Jus Publicum Europaeum. Un nouvel ordre ne put être évité pour le remplacer selon l’auteur, et son universalisme marque aujourd’hui la destruction de l’ordre global traditionnel de la Terre, ce dernier ayant été remplacé par “un normativisme de règles prétendument reconnues et respectées de tous”. Ce sont paradoxalement ces mêmes règles qui, pendant quelques décennies au début du XXe siècle, nous aveuglèrent quant à la création du nouveau nomos encore déstructuré et sensé éradiquer l’ancien. Schmitt pense que cet aveuglement, plus ou moins orchestré, était résultante de l’illusion d’éliminer complètement toute forme de guerre en la criminalisant. Par conséquent, la guerre “criminelle” et inévitable ne fut pas encadrée et devint bien plus terrible et violente : elle est devenue une “guerre civile mondiale”. Aussi, la critique essentielle de l’auteur concernant le libéralisme est bien là : on nous berce dans l’illusion que le conflit peut être complètement coupé du collectif, du social, de l’état

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