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État d'urgence : les abus de l'exception

Par   •  15 Avril 2018  •  1 973 Mots (8 Pages)  •  598 Vues

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société du spectacle (1967), Guy Debord écrivait « les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir sur le terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler acceptable ».

Ainsi, l’état d’urgence est bien un régime d’exception dont les abus sont connus : certains associent désormais « état d’urgence » et « État policier ». Néanmoins, il est indéniable que la menace terroriste n’a jamais été aussi élevée et que cet état d’exception, malgré ses excès, semble aujourd’hui indispensable, mais il pourrait être adapté en cohérence.

En premier lieu, l’état d’urgence n’est pas la première forme de régime d’exception : la justice d’exception semble en réalité une tradition française. Celle-ci existe au moins depuis la Révolution française et ses tribunaux révolutionnaires, mais on pourrait la remonter à la monarchie et aux ordres directs du roi sur ses vassaux et sujets. Plus récemment, une Cour de sûreté de l’État avait été instituée par le général de Gaulle : cette juridiction d’exception, aux mains du chef de l’État contre les « ennemis intérieurs », outrepassait bien davantage le domaine judiciaire que l’état d’urgence. Elle a été supprimée par Robert Badinter en 1981. Il n’en reste pas moins que, comme le développait le député Francis Vals, l’histoire montre que ces régimes d’exception sont souvent détournés de leurs buts primitifs : ce fut le cas de la loi sur l’état de siège qui permit le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en 1852 et l’écrasement de la Commune en 1871. Si l’état d’urgence paraît plus mesuré que ces différentes formes d’exception, il n’en est pas mois urgent de réformer et d’adapter un régime qui date de 1955. Il paraît étrange qu’en 2016, l’État utilise une loi adoptée durant la guerre d’Algérie, où la menace était tout aussi présente mais pas de la même nature qu’aujourd’hui. Pourquoi l’État reprendrait-il une mesure adoptée sous la IVème République, au cours d’une guerre qui provoqua la mort de centaines de milliers de personnes ? Il ne paraît pas étonnant que face à cette incohérence, certains Français rompent cet état d’exception en manifestant malgré l’état d’urgence : la désobéissance civile, à travers des manifestations au mois de décembre malgré l’avertissement des autorités et la la « répression » des forces de l’ordre, semble alors légitime pour ces Français.

Depuis cinq mois, l’état d’urgence est prolongé et il le sera « le temps qu’il faudra », selon le Premier ministre. Le constitutionnaliste Olivier Beaud conçoit pourtant que l’un des principaux dangers soit « la prorogation répétée de plusieurs états d’urgence, au risque d’en faire un état permanent ». Dans la même logique, Alain de Besnoist disait que l’expérience montre que les textes votés en période de crise ont tendance à être conservés, même lorsque la menace aura disparu. Pourtant, « le régime d’état d’urgence est un régime d’exception, nécessairement borné dans le temps. Le constitutionnaliser ne revient bien sûr en rien à instaurer un état d’urgence permanent », affirmait encore Manuel Valls. Il semble déjà inconcevable qu’un régime dit d’ « exception » se maintienne cinq mois : la constitutionnalisation semblait alors la solution. Inscrire l’état d’urgence dans la Constitution permettrait d’enraciner l’exception dans le droit, au lieu justement d’une suspension des droits : ainsi encadré, l’état d’urgence intégrerait davantage ce qu’on pourrait appeler la norme. Toutefois, il me semble qu’inscrire simplement la loi dans la Constitution ne serait pas suffisant : il faudrait alors impulser un contrôle plus rigide de la représentation nationale, notamment sur la question des perquisitions et des assignations à résidence, à travers des commissions parlementaires plus fréquentes tel qu’on a pu le voir en temps de guerre au XXème siècle – si le président déclare la France en état de guerre, il serait bon que ces commissions agissent de même. Tout comme la tradition française veut que le pouvoir politique prédomine sur le pouvoir militaire en temps de conflits armés, il serait bon que la représentation nationale se saisisse davantage de ce problème : le ministre de l’Intérieur ne doit plus apparaître comme tout-puissant. Enfin, une réactualisation plus fréquente serait à envisager – elle est aujourd’hui de trois mois, qui serait liée des contrôles plus rigides de l’action gouvernementale de la part de la représentation nationale. Inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, c’est ainsi l’encadrer, le contrôler, le légaliser même de sorte qu’on assiste plus à une suspension du droit prévue par le droit : ce serait en quelque sorte sortir l’état d’urgence de l’exception en prévoyant et anticipant des situations dramatiques comme les attentats du 13 novembre.

Ainsi, l’état d’urgence constitue un état d’exception en ce qu’il octroie des pouvoirs supplémentaires au pouvoir exécutif au détriment de l’autorité judiciaire. L’état d’urgence est, par définition, un ensemble de mécanismes prévus lors de menaces graves et imminentes à la sécurité de la nation. En vigueur depuis cinq mois, il est cependant décrié pour ses abus, ses atteintes aux libertés fondamentales, ses injustices. Toutefois, de telles mesures sont indispensables en tant de crise, il convient de maintenir mais de réformer cet état d’urgence. Adopté en 1955 durant la crise algérienne, il ne semble plus adapté au contexte actuel. Constitutionnaliser l‘état d’urgence était une piste : il permettrait d’inscrire ces dispositifs dans la loi fondamentale qui unit et régit la société française, en permettant un encadrement plus rigide de la représentation nationale. Les prorogations seraient non seulement plus tolérées mais paraitraient plus conformes. Ce contrôle pourrait permettre à l’état d’urgence, aujourd’hui nécessaire malgré les critiques, de sortir de son caractère exceptionnel tant décrié. « Il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté » écrivait Montesquieu : la menace terroriste peut confirmer cette tendance, mais abandonner l’État de droit ne doit relever ni de l’exception ni de la norme à plus long terme.

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