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Nicolas Bouvier, L'Usage du monde

Par   •  14 Novembre 2017  •  2 780 Mots (12 Pages)  •  1 707 Vues

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II. Conceptions et enjeux du voyage

La réflexion sur les enjeux du voyage nait chez Nicolas Bouvier du désaccord qui l’oppose à son ami.

A. Deux conceptions du voyage qui s’opposent

1. La mise en scène du désaccord (ici l’étude suit le mouvement du texte)

Thierry Vernet et le narrateur ont jusqu’alors formé un duo, comme le soulignent le terme d’« équipe » (l.26) ou l’expression « nous bouclerions la boucle ensemble » (l.27). L’amitié qui unit les deux voyageurs fait d’autant plus ressortir la gravité du moment où le désaccord s’installe : « je le trouvai sur le point d’éclater » (l.7). Ce deuxième paragraphe fait vraiment entendre les paroles du compagnon et le point critique dans la crise qui précipite la décision de la séparation

Le 3ème paragraphe montre le voyageur Bouvier qui après l’orage du désaccord fait le point sur ses propres motivations dans le voyage.

Cette amitié soutient cependant l’effort de compréhension de l’auteur à l’égard de son ami : le quatrième paragraphe construit une réflexion sur l’écart entre deux conceptions du voyage. Et cet écart lui-même génère une exploration de soi-même :

Thierry Vernet a découvert les limites qui s’imposent à son expérience, comme le souligne l’expression : « quelque chose avait changé pour lui » (l.29) et face à lui, Nicolas Bouvier accepte de dépasser leur désaccord pour réfléchir et revenir sur sa propre conception : « j’avais toujours imaginé » (l.26)

 Le désaccord ne mène donc pas à une rupture et à l’incompréhension, il montre aussi le visage de la tolérance, et la capacité de l’écrivain-voyageur à dépasser et repenser ses propres conceptions.

2. L’opposition des deux conceptions

La séparation est ainsi l’occasion d’un débat, où dialoguent ces deux conceptions du voyage. Pour l’un, le voyage représente la liberté, suscite le plaisir et l’envie. Pour l’autre, il implique un enfermement et une séparation insupportable d’avec l’être aimé.

• Eloge du voyage par Bouvier

Liberté : « aller égarer [ma vie] » (l.16), « mettre son sort en balance » (l.24)

Plaisir : « tellement agréable…ces grandes, images dépliantes de la nature » (l.20)

Désir : « picotements », « ces désirs de terres vierges » (l.20 et 21)

• Limites et blâme du voyage selon Vernet

Enfermement : « cette prison », « cette trappe » (l.8) « piégés ici » (l.10)

Douleur de la séparation : « je n’en peux plus » (l.8), « l’absence » (l.10), « attachement » (l.11), « attendre » (l.11)

 L’opposition radicale de ces deux conceptions construit une vision dialectique du voyage : en mettant en scène la séparation avec son ami, Nicolas Bouvier lève le voile sur le revers de l’aventure, les difficultés qu’elle suppose et même sur l’« égoïsme » (l.9) de sa démarche qui ne tolérait pas d’autre conception que la sienne.

Il pose aussi une condition nécessaire au voyage : la liberté du voyageur, qui tient à son absence d’attaches : « je ne voyais guère que la maladie ou l’amour pour interrompre ce genre d’entreprise » (l.15).

La possibilité du voyage dépend donc aussi d’une disposition personnelle.

B. Les enjeux du voyage selon Bouvier

L’usage du monde, c’est-à-dire la possibilité de le (= le monde) rencontrer, n’est accessible qu’à condition d’être « amoureux » du monde. Cette conception est nouvelle dans le voyage : elle n’est plus guidée comme au début des grandes découvertes par la nécessité de l’exploration et/ou du commerce ; le voyage devient une expérience personnelle gratuite. Il est donc essentiellement lié aux motivations du voyageur, qui ne lui sont plus extérieures.

1. Les motivations essentielles du voyageur

• Le goût de la lenteur et de l’espace est affirmé dès les 1ères lignes du texte à propos de la légende : « J’aime la lenteur ; en outre, l’espace est une drogue que cette histoire dispensait sans lésiner » (l.3-4)

Ce goût est réaffirmé dans le 3ème § quand il évoque la vallée « plus vaste à elle seule que tout ce que nous avions parcouru. » (l.19), les futures « étendues » (l.19) à parcourir « les cheminements » (l.21).

• Le goût de l’inattendu

Belle antithèse ligne 16 : « Il poussait sa vie. J’avais envie d’aller égarer la mienne » qui met en valeur ce goût de l’incertitude dans le voyage et de curiosité, « un coin de cette Asie centrale dont le voisinage m’intriguait tellement » (l.17), qui s’étend même jusqu’à sa conception de la vie « un instinct qui pousse à mettre sa vie en balance » (l.24).

• Un regard attentif à l’imaginaire, au rêve que peut susciter la découverte du «réel» ; Une disposition intérieure qui permet de transformer des signes en véritable sensation et désir ; faire confiance à la puissance de l’imaginaire, savoir susciter , réveiller l’exotisme dans un monde à la portée de tous. Ce qui explique chez Bouvier le goût pour la lecture : lecture de Grousset, indirectement de Marco Polo, goût pour les légendes propres à développer l’imaginaire goût pour les cartes géographiques, dans un moment privilégié de solitude qui précède le sommeil : « Avant de m’endormir, j’examinai la vieille carte allemande dont le postier m’avait fait cadeau » (l.17-18) qu’il voit comme « des grandes images dépliantes de la nature » (l.20), ce qui traduit une forme d’émerveillement enfantin, un état d’esprit disposé à s’étonner, à rêver, ce qui va de pair également avec une sensibilité particulière aux formes et aux couleurs : « ramifications brune » (l.18), « tache froide » (l.18), « vert olive » (l.19) et plus loin « des taches, des niveaux, des moirures, où l’on imagine des cheminements » (l.21)

Le voyage est donc précédé du rêve, de ce qu’en imagine l’auteur.

 La rencontre de l’Autre est, de ce fait, déterminée par une impulsion

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