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Poétique en science-fiction : Coeur de rouille

Par   •  4 Novembre 2018  •  11 594 Mots (47 Pages)  •  426 Vues

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Ces considérations théoriques nous permettent de situer le niveau d'analyse de notre étude de cas. Dans la première partie nous nous concentrerons sur le premier niveau, le niveau stylistique le plus immédiat pour le lecteur. En relevant d'abord les particularités esthétiques de la langue de Niogret puis en étudiant comment ce style immergé gère l'interaction entre lecteur et monde possible d'une manière originale. Nous étudierons entre autre comment la poétique de Niogret participe à une vraisemblance plus esthétique que cognitive du monde-possible et comment elle favorise une immersion bien plus sensitive que rationnelle. Enfin nous analyserons le rôle du personnage humain, Saxe, point focal le plus fréquemment à l'origine de descriptions riches en analogies de toute sorte et avatar du lecteur face à l'altérité robotique.

- Une étrangeté dans le paysage littéraire de la science-fiction

Avant de réfléchir plus avant sur les liens entre cette langue imagée et la construction du monde possible, il nous faut rapidement revenir sur ce qui fait l’originalité purement stylistique de Justine Niogret. Pour cela, nous proposons d’utiliser une ressources à notre connaissance peu exploitée dans une réflexion académique mais qui montre bien les apports permis par internet aux sociologies de la lecture : le monde de la Science-Fiction comporte beaucoup de lecteur très actifs qui partagent des impressions de lecture et des critiques parfois développées sur de nombreux forums. Dans cette première partie nous ferrons donc références à différents posts ou reviews trouvés sur le web dans lesquels des lecteurs commentent leur ressenti du monde-possible proposé par Niogret.

Quelque chose d’extra-ordinaire se passe avec l’écriture de Justine Niogret : toutes les critiques et compte-rendus des internautes le mentionnent sur le web (voir les annexes). Ce qui étonne les lecteurs, c’est la richesse de la langue et l'abondance de figure de style dans une littérature Steampunk/ Fantasy qui, en l’occurrence, est de plus insérée par la maison d’édition Le Pré aux Clercs dans la catégorie Young Adult.

Justine Niogret a une ‘manière de dire’ qui lui est propre et même si elle ne fait pas l’unanimité, elle interpelle : « son style est vraiment très particulier » (voir annexes), « le style s'avère déstabilisant et difficile à suivre au premier abord » (voir annexes), « un roman au style inadapté » (voir annexes), etc. En matière de style, l’auteure de Cœurs de Rouille semble moins hériter des écrivains pulp du début du siècle passé comme Asimov que de certains écrivains français comme Villiers de l’Ile-Adam. Ses images évoquent alternativement une langue Romantique ou Surréaliste. Voici quelques exemples de passages qui peuvent intuitivement illustrer ce propos :

Le toit gris était comme un dos de poisson perdu au milieu d’autres dos de créatures marines. Il luisait, prenait le soleil et chauffait doucement. Flottant toujours. Même brisé il ne noyait pas.[1] (Emplacement 593)

Ou encore :

Les morceaux de golems rampaient sur le sol poussiéreux. Ils tombaient du haut de l’escalier de leur maison, incapables de marcher, de trouver un équilibre. On aurait dit des poissons glissants sur une table, chutant au sol sans aucun accroche. Ils dégringolaient avec un bruit de bois frappé de la paume, dérapaient, atterrissaient dans l’humus et restaient là, le nez dans la boue sèche, les mains retournées, sautillant comme elles le pouvaient pour se remettre droites. (Emplacement 2408)

Il n’y a pas besoin, avec Niogret, de longues descriptions d’une pièce ou d’un personnage, quelques adjectifs simples, un rythme syntaxique court-circuité ou une phrase averbale (Niogret les utilise abondamment) suffisent parfois pour décrire une expression, un décor ou une atmosphère.

Le garçon regarda Dresde et la vit immobile dans le demi-jour venu de la porte ; il la trouva grise, au point de se demander si la peur avait pu la faire changer, même très peu, de couleur. Céramique caméléon. (Emplacement 2834)

Dans les nombreux commentaires ou posts recensés sur le web, outre d'intéressants débats sur le style, on retrouve une sorte d’unanimité sur l’incompréhension du monde fictionnel de Cœurs de Rouille. Nous reviendrons plus tard sur ce point, pour le moment disons simplement que les lecteurs s’étonnent de ces phrases fragmentées et poétiques qui parsèment le récit, semblent le décrire, rendent le monde possible fascinant pour la plupart des lecteurs mais ne ‘l’expliquent’ pas. Une fois le livre refermé, le fonctionnement de la « Cité du Ciel » n’est clair pour personne. Les reviews donnent l'image d'un lectorat adapté au plaisir intellectuel qui réside dans la compréhension rationnelle du monde imaginé, de ses logiques, des trouvailles de l'écrivain en matière de conjectures utopiques-dystopiques, du niveau plus ou moins grand de vraisemblance logique etc. Cœurs de Rouille a constitué au mieux une surprise et au pire une frustration pour nombre de ses lecteurs. Analysons maintenant ce « flou » rationnel.

- Du segment didactique au segment poétique

1.2.1. Le personnage humain au cœur du regard métaphorique

Comme rappelé en début de partie, tout univers fictionnel est par définition un monde possible proposé par l’auteur à un lecteur. Dans la science-fiction, ainsi que développé en séminaire, ces mondes se veulent réalistes au second degré. Il est donc primordial qu’ils soient, non pas véridiques, mais vraisemblables pour qui les lit. Cette vraisemblable repose en partie sur ce que nous pourrions appeler, avec les théories contemporaines de la fiction (Saint-Gelais par exemple), la cohérence interne du monde possible, c’est-à-dire les lois qu’il se fixe et qu’il est tenu de respecter. Si, par exemple, un auteur décide que tout personnage qui ne soit pas le Seigneur des Ténèbres voit sa santé mentale lentement défaillir lorsqu’il porte l’Anneau Unique, l’intrigue ne peut montrer un humain enfiler le bijou sans en subir les effets : il en résulterait une rupture de la cohérence interne du monde. Le lecteur va ainsi signer un pacte de lecture et accepter comme possibles tous les évènements de l’intrigue qui se dérouleront dans ce cadre.

L’un des topos stylistiques de la science-fiction est intimement lié à cette cohérence du monde interne : les segments didactiques. Nous appelons segments didactiques

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