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Le robot comme métaphore. Comparaison de RUR et les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

Par   •  28 Octobre 2018  •  10 973 Mots (44 Pages)  •  476 Vues

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« Efficacité – économie : les robots de Rossum.

ROBOT TROPICAL – Le nouveau-né de la technologie de pointe[23]. »

Le robot est considéré comme un produit commercial et trouve son origine dans le développement d’une technologie de pointe. Bien que cela confère un cadre vraisemblable à l’intrigue, Capek ne produit pas pour autant un scénario réaliste qui anticiperait les progrès technoscientifiques :

« il [Capek] possède le goût de la logique poussée jusqu’à ses plus extrêmes conséquences en des fantaisistes philosophiques drôles et graves : supposons que des hommes créent des robots à leur image […], que se passerait-il ? Comme Zadig ou Candide, les fictions de Karel Capek veulent alerter l’humanité sur les suites irréparables de ses folies politiques, religieuses et, désormais, scientifiques. Le domaine du possible est inépuisable, dit le poète […][24] »

R.U.R n’est donc pas, comme le pense Natacha Vas-Deyres, un « drame futuriste[25] » destiné à anticiper la société à venir. D’ailleurs, la pièce se situe à une époque plus ou moins contemporaine car le vieux Rossum crée la substance vivante dont sont faits les robots en 1932 : « Cette expérience réussit en 1932, exactement quatre cent quarante ans après la découverte de l’Amérique[26] ». Il ne semble pas s’agir non plus d’un récit d’avertissement contre les suites des folies scientifiques comme le pense Brigitte Munier. Il s’agit plutôt d’exploiter le "domaine du possible", comme le dit Capek lui-même, afin de rendre sa conjecture vraisemblable, mais de l’extrapoler, de le présenter sous une forme exagérée, poussée "jusqu’à ses plus extrêmes conséquences". La vraisemblance n’est donc qu’illusion et répond au besoin de permettre au spectateur d’adhérer à l’univers représenté afin de lui permettre d’éprouver des émotions :

« Or, cette vraisemblance n’est qu’un leurre : les récits de science-fiction sont par nature des configurations de mots ou d’images, c’est-à-dire un langage qui fait semblant de parler du monde à venir pour, en fait, nous offrir une expérience émotionnelle spécifique. Autrement dit, ces récits représentent bel et bien des extraterrestres ou des clones [ndlr ou des robots] mais, en raison de la nature conjecturale de ces entités textuelles ou iconiques, évoquent quelque chose d’autre, quelque chose qui ne peut être exprimé adéquatement que par la figure de l’extraterrestre ou du clone[27]. »

Ce "quelque chose d’autre" constitue ce que Brigitte Munier qualifie "d’alerte". Marc Atallah préfère quant à lui parler d’une « image - une métaphore – décrivant de façon novatrice le rapport entretenu par l’homme à une réalité, habituellement indicible ou difficilement qualifiable[28] ». Plus précisément, le robot présente aux spectateurs une image déformée de leur condition au quotidien lorsqu’ils acceptent d’agir comme le paradigme technoscientifique et industriel le souhaite, c’est-à-dire comme des machines[29]. C’est pourquoi la mise en scène est bâtie de manière à ce que le spectateur perçoive rapidement le rapport d’identification entre humains et robots. Les didascalies indiquent qu’au début de la pièce, les « robots sont habillés comme des hommes[30] ». Le visuel rejoint le cognitif car un « segment didactique[31] », situé au début de la pièce et ayant pour fonction de rendre la conjecture vraisemblable, permet au dramaturge d’expliquer la ressemblance entre les robots et les hommes. Dès les premières répliques, le personnage de Domin, directeur général, mentionne que les robots ont été conçus avec une « matière organique appelée protoplasme[32] » qui leur confère une apparence humaine sans toutefois l’être. Cela nous permet d’affirmer qu’en créant la métaphore du robot, Capek ne souhaite pas dire que dans les paradigmes industriels et économiques du XXe siècle l’homme est un robot, c’est-à-dire une machine, mais plutôt de dresser le portrait de l’homme quand il accepte de se soumettre aux discours politiques, technoscientifiques et économiques dominants en se transformant en simple esclave à leur service. Le but de la métaphore vive de Capek est donc d’alerter, par le biais de l’exagération, les spectateurs sur la capacité que possèdent les discours dominants à influer sur l’identité humaine en le métamorphosant en ce qu’ils attendent d’eux :

« C’est en effet dans les conséquences de cette dimension descriptive que réside la force de toutes les métaphores : puisqu’elles représentent la manière dont notre identité – par essence malléable – peut être transformée par les discours dominants, elles nous offrent la possibilité d’être dérangés par ce qu’elles peignent de nous-mêmes et, si cette perturbation est suffisamment forte, elles nous invitent à nous réinventer pour nous éviter de nous comporter comme ce que nous ne serons jamais complètement : des machines[33]. »

Capek crée donc la figure inédite du robot non pas dans le but de définir l’homme mais afin d’exprimer sa condition à l’aube du XXe siècle. S’il s’agit bien d’une figure inédite, l’auteur tchèque ne part pas pour autant d’un terrain vierge, dans la mesure où il n’est pas le premier à s’être interrogé sur le progrès scientifique. En effet, l’intrigue de R.U.R reprend un thème classique, celui de la créature artificielle :

« Historiquement, R.U.R se situe à la charnière entre deux vagues de présentations du mythe [de la créature artificielle] : la première est illustrée au 19e siècle par Frankenstein de Mary Shelley ou par L’Eve future de Villiers de L’Isle-Adam, la seconde est représentée par la science-fiction de la seconde moitié du XXe siècle avec la déferlante des histoires de robots rebelles[34]. »

Au début de la pièce, Domin raconte la genèse des robots à son invitée, Hélène. Le spectateur apprend ainsi en même temps qu’Hélène que la matière qui permet de créer les robots a été découverte par un chercheur, le vieux Rossum, dans le but de créer de vrais hommes :

« Domin : Oui, dommage. Mais savez-vous ce qui ne figure pas dans les livres ? (Il touche à sa tempe avec l’index) Que le vieux Rossum était fou. Fou à lier. C’est vrai, Mademoiselle, mais cela, je ne le dis qu’à vous. Ce vieil excentrique voulait faire de vrais hommes.

Hélène : Mais c’est ce que vous faites.

Domin : Oui, à peu près. Tandis que le vieux voulait

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