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LA REPRESENTATION DE L'ECRIVAIN ET DE L'ECRITURE DANS LA POESIE DE FRANCOIS VILLON

Par   •  8 Février 2018  •  4 342 Mots (18 Pages)  •  883 Vues

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Mais en endossant le rôle du testateur, François Villon nous livre, à travers son écriture, un portrait de lui. Ce qui semble définir le poète avant tout, c'est sa pauvreté. L'épithète « pauvre » accompagne très souvent le nom de Villon : dans L'Epître à mes amis, Villon leur demande : « Le laisserez là, le pauvre Villon? », au vers 1811 du Testament il évoque « l'âme du pauvre Villon ». Cette pauvreté semble être un héritage familial car « Pauvre je suis, de ma jeunesse, / De pauvre et de petite extrace » (Testament v.273-274). La pauvreté entre alors en concurrence avec la morale, car un pauvre est insignifiant et donc tenté par la délinquance. C'est le cas de Villon, qui, au seuil de la mort, se repent d'avoir été un mauvais garçon. Au huitain XXVI il regrette sa « jeunesse folle » pendant laquelle il était insouciant des « bonnes moeurs ». L'âge lui a fait prendre conscience de ses erreurs de jeunesse, « En écrivant cette parole, / A peu que le coeur me fend » (Testament v. 207-208). De plus, la pauvreté n'est pas seulement pécuniaire mais elle provoque aussi l'exclusion sociale, la solitude et elle est le signe de la fatalité. Le poète est alors « Pauvre de sens et de savoir, / Triste, pâli, plus noir que meure, / Qui n'ai d'écus, rente n'avoir. » Au-delà de la charge satirique des Poésies de Villon, dénonçant les riches et s'efforçant de donner une voix aux pauvres, la pauvreté du poète explique son vieillissement accéléré, la faiblesse du vieillard est liée à son état de santé mais aussi de richesse (« Pour ce que faible je me sens / Trop plus de biens que de santé » v.73-74). Et ce vieillissement rapide permet au poète d'exprimer son « moi » dans sa totalité, du « bon fôlatre » du Lais au moribond du Testament. Malgré la courte distance suggérée par les dates, cinq ans seulement se sont écoulés, le poète met en place une temporalité subjective qui donne l'impression que ses poèmes englobent toute sa vie. De plus, cette temporalité n'est pas linéaire mais circulaire, et alors, dans son épitaphe, Villon est encore « un pauvre petit écolier » (Testament v.1886). L'approche de la mort permet aussi un retour au rire et le poète prend place dans le carnaval qu'il dépeint. Le rire permet de maîtriser l'angoisse et la tristesse, la mort tragique se transforme en départ burlesque, et le rire libère les fantasmes par la création poétique.

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L'affirmation d'une subjectivité esquisse alors un mouvement de sincérité du poète, mais il dit surtout la proximité entre l'écrivain et son sujet. Il refuse de s'investir d'un point de vue personnel et affectif dans l'écriture et choisit ainsi le testament burlesque qui lui permet d'avancer masqué. Nous allons donc maintenant étudier les différents aspects de l'écrivain et les différents acteurs de l'écriture.

Si François Villon se dissimule sous les traits d'un testateur fictif, nous allons voir que la figure du poète elle-même demeure insaisissable. En effet, le poète nous fait de lui un portrait équivoque et fondé sur des contrastes. Nous avons déjà évoquer les pseudonymes adoptés par l'auteur pour brouiller son identité, mais son nom le plus connu, François Villon, celui qu'il met en scène dans la fiction, illustre l'ambivalence du personnage. Si nous observons le système formé par la première syllabe de chacun des deux mots, nous remarquons l'opposition des adjectifs « franc » et « vil ». « Franc » en moyen français signifie « noble », « de bonne qualité » et « vil » au contraire veut dire « méprisable et est lié au corps et au péché. Au sein même du nom du poète se trouve les deux pôles contradictoires mais inextricablement liés de sa personnalité. La représentation de l'écrivain échappe à un portrait univoque et, qui plus est, le « moi » du poète semble aussi lui échapper. Dans La Ballade des menus propos, il écrit ainsi : « Je connois tout, fors que moi-même ». Nous pouvons également citer les formules contradictoires que le poète utilise pour se définir : dès le vers 3 du Testament il se présente comme « Ne du tout fol, ne du tout sage ». La Ballade du concours de Blois est entièrement construite sur ce jeu d'oppositions, nous pouvons relever les vers 1 et 6 qui sont les plus célèbres : « Je meurs de seuf près de la fontaine » et « Je ris en pleurs ». La clé de l'oeuvre de Villon semble se trouver dans ces vers paradoxaux où la joie côtoie la tristesse, le mélange répondant à la contradiction réelle qui s'opère dans le poète, celle du drame intérieur, et qui reflète aussi l'ambiguïté de toute nature humaine. C'est ce qu'évoque le vers 11 de cette même Ballade du concours de Blois : « Rien ne m'est sûr que la chose incertaine ». Par le langage, le poète met en lumière l'incertitude du monde dont la réalité demeure insaisissable, « êtres, sentiments, langage, tout nous échappe, tout nous trompe, dans un glissement et un chevauchement continu des apparences » (Jean Dufournet).

Mais au-delà de l'inaccessibilité du « moi » par le poète, celui-ci crée un autre niveau d'opacité en se dissimulant derrière des masques. Dès le vers 2 du Lais c'est le masque de l'« écolier » qu'il revêt, puis celui de l'amant martyr, du chevalier qui distribue généreusement ses biens, et aussi celui du « banquier, pèlerin, pédagogue, médecin, proxénète, vieux singe, « vieil usé rocard », émule de Saint Martin... (Jean Dufournet). La diversité du « je » entraîne une représentation ambiguë du poète, qui s'amuse ainsi à multiplier les discours et les registres afin de nous offrir un univers langagier très riche par sa diversité. Il recourt à des registres de langue très disparates (citations latines, proverbes, patois, jargons) qui illustrent la fragmentation du discours. Par ce langage éclaté, le poète ouvre sa poésie à une universalité de l'expérience qu'il s'approprie pour la rendre intelligible car sinon elle est une menace d'aliénation pour lui. Dans son testament, le poète fait entrer tout l'univers social, à défaut d'y être intégrer dans la réalité. Pour élargir son monde poétique, l'écrivain a recours à un autre procédé qui est celui de la parole plurielle. En effet, Villon ne cesse de se dédoubler, de dialoguer avec lui-même ou avec d'autres, et il laisse également la parole aux autres. Dans Le Débat du coeur et du corps de Villon, c'est à un dialogisme intérieur que se livre

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