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Dissertation sur le mythe de Don Juan

Par   •  26 Novembre 2017  •  5 003 Mots (21 Pages)  •  635 Vues

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Cette multiplicité dans les conquêtes amoureuses, cette recherche d’un « toujours-plus » nous pousse à nous interroger sur la nature de l’objet que désire réellement le personnage de Don Juan. S’il ne cherchait que les plaisirs charnels, il pourrait se contenter d’une seule maîtresse ou bien payer les services d’une prostituée. Mais dans les quatre œuvres, Don Juan abandonne les femmes dès qu’il les a possédées et n’établit aucune distinction entre elles : elles ont toutes le même statut d’objet pour lui, elles sont toutes identiques et toutes insatisfaisantes. Charles-Gilbert Dubois parle d’un « toujours-pareil » : aucune d’entre elles n’a d’importance particulière. Il y a donc peut-être, dans sa quête, le désir d’un objet situé « dans un au-delà de chaque objet de satisfaction ». Peut-être qu’à travers ce désir de séduction, il y a un désir de s’éloigner de son père et des valeurs aristocratiques pesantes qu’il représente. Dans la scène 5 de l’acte IV du Dom Juan de Molière, Dom Louis, son père, lui rappelle qu’il faut « s’efforc[er] de ressembler [à leurs ancêtres] », « de suivre les pas qu’ils tracent pour [eux] » et « de ne point dégénérer de leurs vertus ». Nous avons ici la thématique du droit chemin à suivre avec les verbes « ressembler » et « suivre ». Le verbe « dégénérer » est encore plus fort : il vient du latin genus, eris (n) qui signifie la race, la famille et qui est nié par le préfixe dé-. Dégénérer signifie donc perdre les qualités de sa race, déchoir. Don Juan, par ses actions, renie son illustre famille. C’est peut-être au fond tout ce qu’il cherche à faire car Dom Louis explique qu’il « a demandé sans relâche avec des transports incroyables » « au Ciel » un fils et cela fait peser sur Don Juan un fardeau terrible : sa vie devient une dette, envers le Ciel et envers ses aïeux. On peut retrouver cette même idée chez Tirso où, dès sa première apparition, Don Juan dit « Qui suis-je ? Un homme sans nom » : il nie donc toute appartenance à sa famille, il rejette ce qui est le plus important pour les aristocrates. Il se place en porte à faux de ces valeurs. Lorsque Catalinon lui dit qu’on l’appelle partout « l’Abuseur d’Espagne », Don Juan semble s’enorgueillir de ce nom qui efface celui de sa lignée : « Quel joli nom tu me donnes-là ». Don Juan est donc l’homme du présent : il se moque du passé et ne veut s’affirmer que dans un présent qu’il construit lui-même. Son désir apparent pour les femmes pourrait en réalité être un moyen d’affirmer son indépendance, de s’affirmer comme une personne à part entière et non pas seulement comme un nom dans lequel il ne se retrouve pas.

On voit donc que le désir de Don Juan qui le pousse à aller toujours plus loin dans l’immoralité est insatiable parce qu’il se déploie vers des objets qui ne sont pas ce qu’il recherche véritablement. C’est ce qui fait que Don Juan ne parvient plus réellement à contrôler son désir : il est en effet pris d’une fièvre consommatrice qui le pousse à ne plus réfléchir, à ne plus poser de choix et à se laisser séduire partout. Don Juan est déshumanisé et transformé en une simple machine désirante : son désir crée son désespoir.

Dans les deux œuvres théâtrales ainsi que dans le poème épique de Byron, Don Juan n’a pas réellement d’intériorité : il ne parle pas de la motivation de ses actes, il joue un rôle perpétuel, qui change en fonction des personnages à qui il a affaire. Mais ce qui est intéressant dans ces œuvres, c’est que le désir de Don Juan le pousse à séduire systématiquement toutes les femmes qu’il rencontre. Il ne se pose jamais la question de savoir s’il va ou non séduire la femme qu’il rencontre : cela devient systématique. Il devient donc une machine, un homme déshumanisé parce qu’il ne pose plus de choix. C’est ce que l’on voit très bien dans le Don Juan de Byron. Contrairement aux autres œuvres, celle de Byron fait de Don Juan une victime des femmes : ce n’est jamais lui qui entre dans la démarche de séduction, ce sont toujours les femmes qui, déjà séduites, entreprennent de le séduire. Mais le jeune Don Juan ne résiste jamais : chaque fois qu’il comprend qu’une femme le désire, il cède. Il est passif, il se laisse faire, il se laisse porter d’une femme à l’autre sans jamais poser de choix. Faire un choix, élire un possible parmi d’autre, c’est réaliser sa subjectivité propre ; au contraire, n’en poser aucun revient à nier sa subjectivité et à ne pas se réaliser en tant que personne consciente et autonome. Lorsque Don Juan rencontre Catherine II, elle tombe immédiatement amoureuse et Don Juan le comprend, pourtant « il ne ressen[t] nul amour » (IX,68) mais il se laisse gagner par la « passion (…) impérieuse » qui nous gagne lorsqu’un « objet supérieur », ici une tsarine, « daigne éprouver » « un vif désir » pour nous : il cède sans réfléchir parce que le possible s’offre à lui. De la même façon, il cède à la duchesse Fitz-Fulke – bien que le narrateur ne le dise pas explicitement – parce qu’elle s’offre à lui et non parce qu’il en a un désir profond. Dans les œuvres de Tirso et de Molière, le personnage de Don Juan est toujours actif : c’est lui qui entreprend de séduire, par la parole, par de fausses promesses ou en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. Il est toujours dans l’action, là où le Don Juan de Byron restait passif. Mais en réalité, les deux héros de théâtre sont également dans une forme de passivité face à leur désir : chaque femme rencontrée est un possible qui s’ouvre et qu’ils saisissent sans se demander s’ils le veulent ou non. C’est un automatisme, un réflexe et c’est ce qui montre bien que Don Juan est un personnage mécanique, déshumanisé. Lorsque Don Juan rencontre Charlotte, il dit à Sganarelle : « Il ne faut pas que ce cœur m’échappe » (acte II, scène 2). La tournure impersonnelle à valeur injonctive « il faut que » semble dire que Don Juan n’a pas d’autre choix que de séduire Charlotte, que quelque chose le pousse à le faire sans lui laisser le choix.

Don Juan est donc un héros enfermé dans un cycle de « satisfactions charnelles qui ne constitue pas de progression » : il se résume à une « force désirante » que rien ne peut arrêter, ni lui-même, ni les autres, ni des forces extérieures. Don Juan ne peut arrêter son mouvement. Du point de vue des lieux déjà, on voit qu’il ne peut rester au même endroit bien longtemps. Chez Byron, il part d’Espagne, arrive en Grèce, n’y reste que quelques mois, est envoyé à Constantinople où il ne passe qu’une nuit dans le palais de la tsarine puis

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