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Correction de commentaire : « Vous faites voir des os » - Paul Scarron

Par   •  3 Juin 2018  •  1 775 Mots (8 Pages)  •  1 564 Vues

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1) L’image d’une femme stupide. La poésie amoureuse traditionnelle a habitué ses lecteurs à un éloge souvent extrême, de la femme destinataire et objet du poème. Nous en sommes ici très loin. Scarron retourne l’éloge pour pratiquer au contraire le blâme. En premier lieu, remarquons que la femme, au lieu d’être parée des vertus et attraits de l’esprit, est ici remarquable surtout par sa stupidité, qui se manifeste au plus haut degré dans la dernière strophe. Au vers 13, l’utilisation du mot bête renvoie de manière extrêmement péjorative à la fois à la bêtise vulgaire (il est inconvenant de rire, pour une femme, à cette époque) et à la bestialité d’Hélène. Cette bêtise se manifeste principalement par un rire aussi sot qu’incontrôlé, présent dès le vers 1 et continué par la reprise du verbe aux vers 12 et 13 à trois reprises, mais aussi par les images hyperboliques du « métier de rieuse » (vers 9) ou du verbe « éclater » (vers 6). Le mouvement décrit au vers 12, « vous branlez la tête », est lui aussi symptomatique de la bêtise et de la bestialité : il est la seule réaction du personnage, suite au « fidèle avis » du poète : elle est semble-t-il incapable de le comprendre ni d’en tirer profit.

2) L’image d’une femme affreuse. Le rire d’Hélène est d’autant plus stupide qu’il révèle ouvertement l’autre défaut majeur du personnage, que ne manque pas de blâmer le poète : l’horreur de sa denture. La minutie descriptive du blason est ici au service de l’évocation de la laideur, révélée par le gros plan complaisant des deux quatrains. Cette laideur est ainsi exprimée par le jeu des couleurs : au lieu de la blancheur d’ivoire attendue, on découvre dans une image hyperbolique la noirceur « de l’ébène » (vers 3) et la rougeur sanguinolente (vers 8). La laideur malsaine et sordide de la maladie ou de l’absence totale d’hygiène se confirme dans les évocations des « fragments » (vers 3) ou des dents cariées, tremblantes, déchaussées (vers 4 et 8). Les « os » du vers 1, quant à eux, peuvent même connoter le squelette et la mort, dont le champ lexical est présent par ailleurs dans le texte. L’hyperbole, typique de la parodie et du burlesque, se retrouve encore dans la petite mise en scène caricaturale des vers 6 à 8 : le seul souffle du personnage suffit à faire choir ses propres dents tant elles sont en piteux état. L’aspect parodique le plus remarquable tient ici au détournement de l’expression suggérant originellement l’hommage amoureux : « mettre à vos pieds », comme nous l’avons vu, ainsi qu’au rapprochement lexical plein d’humour entre le mot « pieds » et le participe passé « déchaussés », qui s’applique ici aux dents (vers 8).

3) Le retournement de l’image du poète amoureux. Si l’image de la destinataire est aux antipodes de ce que l’on attend dans le blason ou la poésie amoureuse, il en va de même de l’image du poète. Loin d’endosser le rôle de l’amoureux tendre et admiratif, il se montre au contraire moqueur jusqu’à la cruauté la plus féroce. La description du personnage est elle-même cruelle dans son ensemble, par la complaisance qu’elle a à insister sur les détails sordides, physiques (dans les quatrains) et moraux (dans les tercets). La cruauté est encore manifeste dans la rudesse des injonctions, aux vers 9, 10 et 12. Celle de ces deux premiers vers est présentée comme un conseil – c’est le sens du mot « avis ». Mais un conseil plein d’un cynisme violent puisque le poète recommande à Hélène de côtoyer le monde du deuil et de la mort ; le jeu d’antithèse entre les rimes « rieuse »/ « pleureuse » souligne la force des propos. L’autre injonction, au vers 13, « Riez » est bien sûr pleine d’ironie, tout comme l’adjectif fidèle au vers 11. Quant au dernier vers, s’il remplit bien son rôle de pointe finale, c’est pour faire culminer la cruauté par un souhait (exprimé par la locution « pourvu que ») lui aussi on ne peu plus cynique : celui de voir mourir sa destinataire… encore que Scarron ait l’habileté pleine d’humour de garder une ambiguïté dans son utilisation du verbe « crever » : s’agit-il effectivement de mourir, ou bien le verbe est-il à prendre dans le sens affaibli qu’on lui connaît dans l’expression « crever de rire » ?

On a pu ainsi voir que les eux personnages du poème révèlent un retournement de l’état d’esprit des modèles poétiques choisis par Scarron : la femme est blâmée pour ses tares repoussantes, et le poète a recours face à elle à l’insolence et à la méchanceté.

Conclusion : Ce poème de Scarron reproduit donc très visiblement les caractéristiques de forme, de style, du sonnet, de la poésie amoureuse – à travers la situation d’énonciation en particulier – et du blason puisqu’il décrit en détail une particularité physique. Mais il détourne ses modèles en donnant du personnage féminin, dans ce contre-blason, l’image d’un individu stupide, d’une laideur repoussante, tandis que le poète n’est plus l’amoureux transis de la tradition mais devient agressif et cynique. On peut finalement s’interroger sur les intentions de Scarron lorsqu’il écrit un tel texte. S’agit-il seulement d’un jeu littéraire comme on les affectionnait beaucoup dans les milieux cultivés de l’époque ? La parodie serait alors purement ludique. Ce poème sur la laideur ne pourrait-il pas être aussi par ailleurs une sorte d’exorcisme, dans la mesure où l’on sait que Scarron était lui-même, depuis sa jeunesse, frappé par la maladie, l’infirmité, et par une difformité

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