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Bel Ami, chapitre 7, première partie, Maupassant

Par   •  2 Décembre 2018  •  1 575 Mots (7 Pages)  •  1 747 Vues

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le personnage, cherchant à lutter contre ce sentiment de peur, cherche-t-il à se raisonner. Le narrateur utilise le champ lexical de la volonté et de la raison : « il se mit à raisonner en philosophe », il se veut « résolu », il a la « volonté » de se battre, « il voulait y aller ». Il articule son discours autour de nombreux connecteurs logiques (certes, mais, et, puisque), qui témoignent de son effort pour rationaliser sa peur, la contenir. Ainsi passe-t-il de la question « est-ce que j’aurais peur ? », reprise à la ligne 11 « aurais-je peur ? », relevant d’une démarche d’introspection, d’auto-analyse, à la question plus générale « Peut-on avoir peur malgré soi ? » : la formulation utilise le pronom impersonnel « on » et le présent de vérité générale caractéristique des problématiques philosophiques ; cette généralisation reflète bien son effort de rationalisation.

Pour faire partager au lecteur cette démarche introspective et rapporter les pensées du personnage, le narrateur utilise deux types de discours : le discours direct, comme on vient de le voir, ou encore : « Demain, à cette heure-ci, je serai peut-être mort », mais aussi le discours indirect libre : « Pourquoi son cœur se mettait-il à battre follement à chaque bruit connu de sa chambre ? », « Non certes, il n’aurait pas peur », « Si une force plus puissante que sa volonté […] le domptait, qu’arriverait-il ? » « Certes, il irait sur le terrain ». Très utilisée par les romanciers naturalistes, en particulier par Emile Zola, la technique du discours indirect libre est l’un des outils privilégiés de la narration en point de vue interne, et permet au lecteur de partager les pensées intérieures des personnages.

Néanmoins, cet effort de rationalisation se révèle impuissant à contenir la montée de l’angoisse, comme en témoignent la gradation « ce doute l’envahit, cette inquiétude, cette épouvante ! », renforcée par la ponctuation exclamative, ou la répétition insistante des phrases interrogatives, sur un rythme binaire : « qu’arriverait-il ? Oui, que pouvait-il arriver ? » « Mais s’il tremblait ? Mais s’il perdait connaissance ? »

La reprise, dans le même ordre, des mêmes connecteurs logiques, dans les §§ 5 et 6 : « certes - puisque - mais - si » témoigne de l’impasse dans laquelle se trouve pris le personnage, qui donne ainsi l’impression de tourner en rond, sans trouver d’issue à son questionnement.

III Une angoisse qui confine à la folie.

La fin du passage nous montre d’ailleurs le héros en proie à un véritable délire hallucinatoire. Tout d’abord, le miroir lui renvoie l’image d’un autre que lui-même : « Quand il aperçut son visage reflété dans le verre poli, il se reconnut à peine, et il lui sembla qu’il ne s’était jamais vu. Ses yeux lui parurent énormes ». L’angoisse qui étreint le personnage est telle qu’il se sent devenir étranger à lui-même. Le dédoublement de personnalité est souvent, chez Maupassant, comme dans la nouvelle Le Horla, le symptôme de la folie, et témoigne ici de la dimension croissante de sa peur.

Le point culminant de l’angoisse est atteint dans l’avant-dernier paragraphe, où le personnage est en proie à une hallucination autoscopique (autoscopie : hallucination par laquelle on croit se voir soi-même) : « il se vit distinctement étendu sur le dos dans ces mêmes draps qu’il venait de quitter. » L’adverbe « distinctement », lié à un verbe de perception, « il se vit », insiste sur le caractère intense de l’hallucination, et son lit se métamorphose en linceul mortuaire : « Il avait ce visage creux qu’ont les morts et cette blancheur des mains qui ne remueront plus »

A ce moment, le récit glisse du réalisme vers le registre fantastique, à l’image de ce qui se produit le plus souvent dans les nouvelles de Maupassant consacrées à la peur ou au dédoublement de personnalité. Ce glissement vers le fantastique et la folie témoigne bien de l’échec de son entreprise de rationalisation : l’angoisse l’emporte et envahit jusqu’au décor familier du personnage : « Alors il eut peur de son lit ».

Conclusion.

Mobilisant tous les outils du récit en point de vue interne, le narrateur parvient donc à nous faire partager, avec une rare intensité, le désarroi de son personnage, confronté pour la première fois à l’expérience de la peur.

D’un côté, cet épisode – qui pourrait au premier abord paraître « marginal » au regard de l’ensemble du récit – s’intègre parfaitement dans la logique du « roman d’apprentissage » dont relève Bel-Ami : le héros y découvre une facette jusqu’alors méconnue de sa personnalité (sa lâcheté face à la perspective de la mort). Pour le lecteur, il contribue à construire le personnage, à enrichir sa psychologie, à accroître sa densité, sa complexité.

D’autre part, cette expérience de la peur, menant au bord de la folie, est un thème récurrent dans les œuvres de Maupassant, en particulier dans ses nouvelles fantastiques, telles Le Horla, ou Sur l’eau, où les symptômes physiques de l’angoisse, les hallucinations mentales, le dédoublement de personnalité sont régulièrement évoqués. Georges Duroy rejoint ainsi, à la faveur de ce passage, la longue liste de personnages qui portent les angoisses, les hantises et les questionnements propres à l’auteur.

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