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Baudelaire, Le Spleen de Paris, "Le désir de peindre"

Par   •  16 Octobre 2018  •  2 044 Mots (9 Pages)  •  1 675 Vues

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- Une peinture impossible

Le poète fait ressentir sa présence à travers le « je » lyrique, il est placé en tête de deux paragraphes « Je brûle de peindre » ( §2 ) ; « Je la comparerais » ( §4 ), et c'est lui qui insuffle la suite : l'évocation de la femme.

Par ailleurs, on trouve de nombreux verbes et expressions qui suggèrent la subjectivité « je brûle » ( l3 ) ; « tout ce qu'elle inspire » ( l9 ) ; « Je la comparerais » ( l13 ) ; « au bas de ce visage inquiétant » ( l28 ) ; « qui fait rêver au miracle » ( l31 ) ; « l'envie de les vaincre et de jouir d'elles » ( l34 ). Il exprime ce qu'elle lui inspire mais n'arrive pas à la rendre réaliste,

De plus, ce poème évoque pour le poète un sentiment de perte de soi, ce dernier apparaît comme incapable de dominer le temps comme le suggère l'utilisation d'une formule évoquant la passivité : « voyageur emporté » ( l5 ). L'adjectif hyperbolique « inexprimable » ( l29 ) insiste également sur la difficulté même de peindre cette femme, tout comme la suite d'adjectifs à la ligne 30 « le rire d'une grande bouche, rouge et blanche, et délicieuse ». Le poète est subjugué par la beauté de la femme, comme le montre la phrase hyperbolique : « qui fait rêver au miracle d'une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique. » ( l31 - 32 ), à tel point qu'elle paraît impossible à représenter : « où des narines mobiles aspirent l'inconnu et l'impossible » ( l 28 - 29 ). Enfin, la phrase qui clôt le poème laisse un voile de mystère sur sa beauté et la passivité du poète qui voudrait « mourir lentement sous son regard », et à ce point, le pronom « je » est effacé.

T : Les marques de la présence du poète placent ce texte dans une longue tradition de poèmes lyriques dans lesquels la femme est la cause d'une certaine souffrance. Ces sentiments éprouvés par le poète s'accompagnent d'une réflexion sur l'art d'écrire, la prose apparaît ainsi comme un moyen d'expression artistique.

2 Une création poétique

Le texte a une vocation artistique comme l'indique le vocabulaire propre à l'art. On retrouve le champ lexical de la peinture « l'artiste » ( l2 ) ; « peindre » ( l 3 ) ; « le noir abonde » ( l8 ) ; mais également celui propre à l'écriture comme par exemple la comparaison à la ligne 13 « Je la comparerais à un soleil noir, si l'on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur. ». Ainsi le poète montre que son travail est avant tout porté sur les mots.

De plus, on constate un dédoublement des émotions dans l’opposition des termes qui renvoient à deux aspects de l’état d’âme : « Malheureux peut-être l'homme, mais heureux l'artiste que le désir déchire ! » ( l1 – 2 ). Ici, l'importance de la dimension artistique permet d'accéder au bonheur puisque selon le poète, le malheur de l'homme engendre le bonheur de l'artiste.

Par ailleurs, il semble avoir des difficultés à poser une image sur ses pensées et à dépeindre la femme. Au début du poème on constate qu'il corrige systématiquement sa représentation comme le montre le rythme binaire suivant : « Elle est belle, et plus que belle » ( v 7 ). Un retour sur le texte que l'on retrouve aussi avec la construction autour des « mais » qui corrigent un mot par un autre et la structure de surenchérissement « et plus que » montrent qu'il y a là un réel travail sur le rythme qui donne au poème un aspect musical, ce que finit d'appuyer l'utilisation du conditionnel : « Je la comparerais ».

L'aspect musical du poème est reflété à travers les balancements rythmiques comme on vient de le montrer, on observe presque toujours une modification de sonorité. En effet, on passe de sonorités liquides « lune blanche des idylles » ( l17 ) ; « lune paisible et discrète, visitant le sommeil des hommes purs » ( l 21 ) à des sonorités plus dures qui coupent le souffle quand on les prononce « la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les sorcières Thessaliennes (L’allusion aux « Sorcières thessaliennes » l 11 dans la Grèce antique, sorcières qui font descendre la lune lors de rituels.). Episode, qui met en scène la mythologie de l’éclipse lunaire, la hantise de l’obscurcissement du soleil cf « soleil noir) contraignent durement à danser sur l'herbe terrifiée ! » ( l 22 ). Les sonorités des « r », « k », « t » et « cl » font penser à la mort et elles apparaissent à la fin du poème.

→ CONCLUSION :

« Le désir de peindre » renouvelle donc la poésie en posant un certain regard sur le monde, afin de le célébrer ou de l'interroger. Ici, on retrouve tout à fait cet aspect puisque l'auteur, tout en faisant la description d'une femme qu'il a rencontrée, présente la difficulté de peindre. Ce poème en prose s'inscrit aussi dans une tradition poétique puisque l'on retrouve les accents d'une poésie renouant avec le blason, éloge du corps de la femme, ouvrant au lyrisme amoureux. La prose permet à Baudelaire de décrire la femme qu'il a vue, de rapporter cet instant pris sur le vif, car son objectif n'est pas de raconter une histoire mais de placer le lecteur face à cette image. La poésie acquiert alors toute sa dimension, jouant aussi sur les autres arts : la peinture et la musique, grâce à un travail recentré sur le rythme de la phrase et les sonorités des mots. Il prouve ainsi à quel point la prose peut devenir poétique et ouvre une voie nouvelle. La célébration de la femme est un thème poétique récurrent, que des poètes comme Ronsard « Si c'est aimer madame » ou Aragon « Aimer à perdre la raison » n'ont pas cessé d'exploiter.

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