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Article critique sur la Modification, Michel Butor

Par   •  16 Novembre 2018  •  5 181 Mots (21 Pages)  •  448 Vues

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Autre attachement, mais celui-ci pas nécessairement voulu par l’auteur, celui au Nouveau Roman. Butor, comme les autres auteurs du Nouveau Roman, a voulu un renouvellement du genre romanesque. Non pas qu’il rejetait les codes du roman classique, il désirait « une recherche, l’invention d’un langage romanesque neuf »[9]. Le Nouveau Roman, c’est la conquête d’un nouvel espace. Vous analyserez dans une future partie les caractéristiques du Nouveau Roman que l’on retrouve au sein de La Modification, mais ici, l’important est de dire que l’assimilation de cette œuvre à un courant littéraire apporte de la stabilité. Les digressions, les écarts par rapport aux œuvres du passé, les nouveautés rencontrées au sein de cette œuvre peuvent donc être comprises d’une meilleure manière si on tente de les expliquer par le fait que le roman appartient à « l’école du regard ».

Après les références historiques et littéraires, intéressez-vous à celles artistiques et mythiques, et elles sont nombreuses. Pour commencer, la musique. Butor disait « j’aime beaucoup la musique classique, et il est facile de voir dans mes livres quel enseignement j’en ai tiré. » En effet, si vous prêtez attention aux caractéristiques de la musique classique, il est facile de réaliser un parallèle avec La Modification notamment dans le souci de la forme, de la structure. Il y a une réelle recherche de formes romanesques nouvelles comme dans la musique. La polyphonie, l’imitation, le renversement sont des termes propres à la musique que vous pouvez tout de même appliquer à l’œuvre de Butor. Dans le domaine musical, la polyphonie est la superposition des voix. Elle plait aux romanciers car elle leur permet de sortir de la construction linéaire du récit traditionnel. C’est la raison pour laquelle Butor l’utilise. Ce chef d’œuvre, prémice du Nouveau Roman, joue réellement avec le système temporel et présente plusieurs voix appartenant à des époques différentes. L’entrée des voix est successive : l’œuvre est divisée en trois grandes parties dans lesquelles vous voyez intervenir de plus en plus de voix. « En littérature, la polyphonie, c’est la présence de plusieurs voix : celles du narrateur, de l’auteur, des personnages, de discours sociaux (dialogisme) ou d’autres textes (intertextualité).[10]» Dans cette œuvre, la polyphonie se manifeste dans la présence de 7 récits de voyages en train qui se superposent, dans la présence de plusieurs voix correspondant aux pensées présentes, aux réminiscences, aux rêves de Léon, dans la présence de plusieurs voix mêlées et indissociables par l’utilisation d’un pronom personnel unique « vous ». Comme dans la musique, vous apercevez une forme d’imitation dans la répétition du même voyage dans des conditions souvent similaires : même place préférée dans le compartiment, même habitude d’aller manger au second service du wagon-restaurant, d’observer ses compagnons de voyage, de reconnaitre les gares, train quasi toujours pris aux mêmes horaires, toujours en première classe. Le renversement, lui, se fait dans le fait que les raisons des différents voyages varient parfois (travail, Cécile, voyage avec Henriette), que Léon n’est pas toujours accompagné ou pas de la même personne (son amante ou sa femme). Vous retrouvez aussi une sorte de refrain avec la répétition de phrases telles que « passe la gare » répétée une vingtaine de fois, ou encore « de l’autre côté du corridor ». Et pour finir avec la musique, le leitmotiv (= motif récurrent en musique) de la pluie sur la vitre du train est important.

Mais le dialogue avec les arts ne se fait pas qu’avec la musique. Dans son Œuvre générale, Michel Butor a fait de nombreuses collaborations avec des artistes en tout genre (peintre, photographe, sculpteur…) et surtout étrangers. Ce qu’il aime dans ce travail, c’est « l’enjeu d’aller à la rencontre de l’étrangeté.[11] » Léon Delmont est un amateur d’art. Il est un admirateur d’édifices construits pour le prestige (la Stazione Termini par exemple), mais aime par-dessus tout les musées de peinture. De plus, il est un lecteur de l’Enéide qu’il possède sur sa table de nuit. De plus, la structure formelle des romans de Butor montre un souci mathématique qui a à voir avec l’architecture.

Pour rebondir sur cette architecture, vous pouvez avancer le thème de Rome et sa valeur mythique dans l’œuvre. Rome ; lieu du rêve et du rajeunissement, Rome ; lieu de l’amour et de la découverte. « Lorsque Léon Delmont tentera de déterminer avec exactitude pourquoi le mythe de Rome a pu avoir sur lui un tel pouvoir, ce sont les images de la Rome impériale et celles de la chute de l’Empire qui viendront soutenir sa méditation. »[12] Rome qu’il avait découverte avec Henriette et qu’il avait déjà aimée, Rome qu’il redécouvre avec Cécile et dont il tombe de nouveau amoureux. Rome est le lieu de son épanouissement. Loin de la grisaille parisienne, de sa vie de couple monotone et sans avenir, Léon redécouvre l’euphorie de l’amour à ses premiers jours. Tel un jeune adulte, il se sent léger et empressé de retrouver sa Rome, telle une amoureuse lointaine. Mais c’est par Cécile qu’il apprendra à aimer cette ville, et c’est par cette ville qu’il apprendra à aimer Cécile. Cécile est « le visage de Rome », elle est la raison de son enthousiasme lors de ses voyages pour Scabelli, elle est l’étincelle qui embrase le bûcher. Gaëtan Picon disait : « conscience vide, affamée, le héros demande à une femme le secret du rajeunissement. En réalité, c’est au monde qu’il le demande. Cécile est l’incarnation de Rome et Rome est autre chose que son décor de vieux murs : elle est le rappel d’un ordre humain, d’un âge de civilisation. Le gout de la ville, ici, est passion de l’histoire. Le héros de La Modification, comme celui de L’emploi du temps, comme l’auteur sans doute, est à la recherche d’une ville où l’on puisse vivre. » [13] Ainsi, Rome symbolise par ce qu’elle représente aux yeux de Léon un rajeunissement éphémère. Mais il apprécie aussi son architecture, l’appréciation de ses monuments, de ses musées et places. Cela se perçoit dans l’œuvre lors de l’évocation de noms italiens, vous ressentez tout l’amour porté à Rome à travers ces quelques mots.

Pour conclure cette première partie, vous constaterez que La Modification est empreinte de symboles utilisés par Butor pour fonder des bases sûres à l’élaboration de la suite de son récit. Par des références concrètes, précises et historiques auxquelles chaque lecteur peut s’identifier, il met en place un décor parfaitement propice à un revirement de situation.

Mais

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