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Un fascisme français?

Par   •  28 Novembre 2017  •  9 300 Mots (38 Pages)  •  477 Vues

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Un fascisme minoritaire

Ce qu’aucun historien ne nie est que la France comme les autres pays européens a été, au cours des années trente, l’objet d’une « imprégnation fasciste », selon l’expression de Raoul Girardet. Elle s’est manifestée à travers un certain nombre de groupuscules, comme le Francisme ou la Solidarité française, moins explicitement dans le Parti populaire de Jacques Doriot et dans les Chemises vertes de Dorgères, et plus largement chez les écrivains, les intellectuels et les journalistes d’extrême droite, à l’instar de Drieu La Rochelle, Robert Brasillach ou Lucien Rebatet. L’hebdomadaire Je suis partout est emblématique de cette pénétration des idées fascistes en France.

Cependant, pour réelle qu’elle soit, cette tendance est restée très minoritaire : « Tous les groupes qui se réclamaient d’un fascisme, écrit Raymond Aron, demeuraient marginaux jusqu’à la défaite. Ni l’Action française ni le PPF de Doriot ne parvenaient à faire élire un seul député. Ils n’avaient aucune chance de répéter les exploits de Mussolini ou de Hitler. Les communistes dénonçaient chaque jour la menace fasciste, afin de forcer les partis de gauche à faire bloc et à suivre une ligne diplomatique conforme aux désirs de Staline. (1) »

Cette menace fasciste, la gauche unie dans le Rassemblement populaire, victorieux en 1936, la désigna dans son adversaire le plus imposant, les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque. D’une petite association d’Anciens combattants créée en 1927, celui-ci, qui en prend la tête en 1931, en fait une ligue « civique », bientôt ouverte aux générations d’après-guerre, appelées à s’engager dans les Volontaires nationaux. Antisocialistes et anticommunistes, adversaires de la démocratie parlementaire telle qu’elle se pratique en France [2], les Croix-de-Feu émergent vraiment dans le paysage politique le 6 février 1934, en participant à la manifestation autour du Palais-Bourbon «contre les voleurs ». Mais, alors que certains groupes veulent pénétrer dans l’Assemblée, La Rocque intime l’ordre à ses troupes de ne pas forcer les barrages de police et de rester dans une stricte légalité.

Par la suite, les CDF renforcent leurs rangs et deviennent la plus puissante des ligues de droite. Le 14 juillet 1935, ils défilent en masse sur les Champs-Élysées, tandis que la gauche emplit les rues de la Bastille à la Nation. La politique est désormais dans la rue, et La Rocque devient, pour la gauche, le type même d’un chef fasciste, l’adversaire le plus dangereux du Front populaire. Bien que la ligue ne présente pas de candidat aux élections de 1936, elle est dissoute, avec quelques autres, au lendemain de la victoire de la gauche. La Rocque décide alors de transformer les Croix-de-Feu en un parti de type traditionnel, le Parti Social français, organisé sur le modèle de la SFIO, et destiné à entrer dans la bataille politique.

Le PSF, un parti fasciste de masse?

Le PSF devient un parti très puissant, dont le nombre total des adhérents est supérieur à la somme des inscrits au Parti communiste et au Parti socialiste. Nombre d’observateurs prévoient sa victoire aux élections de 1940 (qui n’auront pas lieu, comme on sait). À partir de juillet 1937, il dispose d’un grand quotidien, Le Petit Journal. Dans l’éditorial que La Rocque publie à l’occasion du 14 juillet, on peut lire cette profession de foi :

« Au mois de juin 1936, la France était à deux doigts de l’émeute : j’ai refusé de lancer mes amis dans des mouvements de rue. Ceux-ci, non seulement n’auraient pas empêché la violence, mais l’auraient suscitée, aggravée ; ils auraient déterminé la guerre civile. J’ai obtenu de ces amis que chacun d’entre eux assurât fermement l’exercice de ses droits légaux dans la rue, à l’atelier, au bureau, chez lui. Car le devoir de la collectivité consiste à maintenir le libre exercice des droits de chacun des individus qui la composent. C’est sous cette forme que, respectueux de la légalité, attachés aux institutions républicaines, décidés à protéger la grande famille nationale, comme leurs propres familles, les innombrables adhérents, sympathisants, du PSF ont su et sauront écarter la subversion ou, si cette dernière intervient, la briser. »

Se voulant un parti de « rassemblement », ni à droite ni à gauche, le PSF appelait à une révision constitutionnelle favorable au renforcement de l’exécutif et à la séparation des pouvoirs, à l’action sociale par la loi mais aussi par un mouvement coopératif indépendant de l’État, par la collaboration de classe entre le Travail et le Capital, la suppression « immédiate ou par degrés » des monopoles, la « remise à l’honneur de la famille », le vote des femmes. En politique extérieure, La Rocque fixait la ligne, dans ce même éditorial du 14 juillet 1937 : « Nous réclamons une France maîtresse d’elle-même, appuyée sur les nations opposées à l’hégémonie germanique, désireuse d’un état d’équilibre européen, fidèle à son amitié avec l’Angleterre, réconciliée avec l’Italie, mais farouchement rebelle à toute copie des régimes dictatoriaux. »

Au total, La Rocque et le PSF dérangent parce qu’ils sont un phénomène inédit. Phénomène double, archaïque et moderne. Son archaïsme tient à ses formules « social-chrétiennes », à son paternalisme social, à son conservatisme profond. Sa modernité, elle, c’est le parti de droite organisé en parti de masse (contrairement aux « partis de cadres » habituels de la droite). Une droite qui imite la gauche, par cette organisation partisane, par ses techniques de mobilisation et de manifestation. Le contenu idéologique des CdF/PSF était conservateur, mais sa pratique politique était accordée à son temps, marqué par les grandes organisations de gauche, communiste et socialiste. C’est cette imprévisibilité d’un parti de masse à droite qui explique la renommée fasciste de cet adversaire du Front populaire, à l’époque du « viol des foules » par les fascistes et les nazis. Les CDF/PSF étaient-ils un mouvement fasciste ? Pour l’Israélien Zeev Sternhell et l’Américain Robert Soucy, cela ne fait aucun doute : les Croix-de-Feu sont un mouvement fasciste. Tout repose bien sûr sur la définition qu’on donne du fascisme.

Le PSF est resté dans les limites d’un parti républicain

Sternhell en a une définition extensive : le mot désigne l’ensemble des mouvements et des régimes de l’entre-deux-guerre et de la guerre qui professent, le rejet de la philosophie

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