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Surveiller et punir, Michel Foucault

Par   •  6 Décembre 2018  •  2 238 Mots (9 Pages)  •  489 Vues

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mais, à la limite, rien de qualitativement différent”, nous dit Michel Foucault. En effet, l’organisation de l’espace est une technique de surveillance: l’assignation des élèves à une place, celle des soldats dans leur rang, celle des ouvriers dans un atelier, celle d’un détenu dans une cellule permettent de créer des machines à observer et à hiérarchiser, garantissant l’obéissance. Ainsi, la tactique disciplinaire, nous dit Michel Foucault, est “la base pour une microphysique d’un pouvoir qu’on pourrait appeler cellulaire”. Le contrôle de l’activité est une des manifestations de la microphysique du pouvoir cellulaire. Foucault prend l’exemple du soldat pour démontrer son idée d’articulation corps-objet et en voit l’apparition du pouvoir disciplinaire à cause du lien de coercition entre le corps et l’objet. On peut penser aujourd’hui aux préparateurs que présentait le récent documentaire Cash Investigation sur les conditions de travail chez Lidl: la discipline dessine soigneusement chaque mouvement que doit faire le préparateur pour mener à bien sa tâche et encadre fermement les rapports que le corps, devenue machine, entretient avec l’objet qui manipule.

Erving Goffman, dans Asiles, définit le concept d’institution totale comme “un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées”, concept qui peut ainsi être rapproché des concepts disciplinaires foucaldiens. Le chapitre sur le panoptisme reprenant le travail de Jeremy Bentham illustre bien la manière dont le pouvoir fonctionne: il s’agit de surveiller de manière permanente, sans que l’on puisse savoir quand on est surveillé, tout en sachant qu’on peut être surveillé à tout moment. Ainsi, l’institution disciplinaire de Foucault comme l’institution totale de Goffman fonctionnent avec des “dispositifs de pouvoir” qui sont fondamentalement constitutifs des rapports de pouvoir.

B. La délinquance comme illégalisme au service de la bourgeoisie capitaliste

“La délinquance, solidifiée par un système pénal centré sur la prison, représente un détournement d’illégalisme pour les circuits de profit et de pouvoir illicite de la classe dominante.” Foucault rappelle que la Révolution rompt avec la tolérance de l’Ancien Régime pour les illégalismes de la classe populaire. En codant et structurant les illégalismes, le pouvoir a créé la délinquance. Marx voit en la pénalité un instrument politique qui conserverait les rapports de domination sociaux. C’est ainsi que l’on peut avoir l’impression d’une justice à deux vitesses. Foucault parle d’une gestion différentielle des illégalismes. En effet, entre délinquance financière et trafic de stupéfiant, la concentration de la justice sur certains illégalismes tend à faire oublier certains autres, qui seraient profitables à la classe dirigeante. Frédéric Gros évoque les “deal de justice” aux Etats-Unis, expliquant que certaines grosses entreprises préfèrent payer d’importantes amendes plutôt que d’avoir affaire à la justice pénale. De là, le constat navrant d’une justice pénale pour les pauvres, revendication souvent entendue en France à propos de la délinquance financière et de l’exil fiscal.

Ainsi, pour Foucault, la pénalité sert à gérer les illégalismes plus qu’à les supprimer. La justice de classe est la conséquence directe de cette gestion: ce n’est pas la loi en elle-même qui servirait les intérêts de la classe dominante mais bien la gestion différentielle des illégalismes par la pénalité; l’échec de la prison est ainsi constitutif de sa raison d’exister, d’où peut-être son maintien. La délinquance, nous dit Foucault, sert l’illégalisme des dominants: les réseaux de prostitution au XIXème siècle en sont bien la preuve, l’organisation du trafic d’armes aussi.

III. La surveillance et la punition: une acceptation volontaire

A. La surveillance comme points de jouissance

Aujourd’hui, la liberté ne semble plus être un concept désirable. Il suffit de voir à quel point les mirages d’une société protégée et sécurisée peuvent influencer l’abandon de la nécessité de liberté. Le glissement s’opère depuis de nombreuses années, mais est devenu évident depuis les attentats qui ont frappé l’Europe. Est apparue alors la nouvelle figure - ce n’est plus celle du délinquant ou du criminel, mais celle de l’enemy combatant (Bernard Harcourt). La notion est née aux Etats-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre; nous le voyons aujourd’hui en France, elle opère consécutivement aux attentats de janvier et de novembre 2015, la déchéance de nationalité étant son paroxysme symbolique. Le recul démocratique en cours est vécu dans une quasi-totale indifférence: l’exécutif tend à donner des ordres à la police, excluant de la sorte les magistrats qui n’ont donc plus de rôle à jouer dans la sauvegarde des libertés. Mais pourquoi s’en soucier, l’efficacité et la sécurité étant assurées? Bernard Harcourt note la parfaite perméabilité entre dispositifs sécuritaires et les mesures prises pour lutter contre le terrorisme.

Frédéric Gros parle de surveillance comme jouissance: le plaisir que nous avons à passer sur les réseaux sociaux nous fait oublier la surveillance numérique qui y est étroitement liée. On accepte d’être surveillés puisque l’on peut soi-même surveiller les autres. Des applications peuvent nous géolocaliser et nous les utilisons de plein gré, heureux de partager notre vie privée avec nos “amis” pour susciter l’approbation sociale via les “likes”, générateurs d’endorphine. Les caméras de surveillance nous rassurent puisqu’elles permettent d’assurer l’ordre de la Cité. Foucault le dit: le surveillant lui-même est surveillé. Frédéric Gros résume cela: “on nous contrôle pour nous protéger s’entend aussi: on nous protège pour nous contrôler.”

B. La prison perd-elle le monopole de la peine?

Si le nombre de détenus dans notre pays n’a pas évolué de façon régulière dans le temps, on note une très forte accélération dans les années 90 du nombre de personnes incarcérées, alors que le nombre de délits et de crimes est resté stable. Souvent soumis aux aléas de la vie politique, le nombre de détenus n’a pas

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