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ART années 30

Par   •  24 Janvier 2018  •  2 518 Mots (11 Pages)  •  578 Vues

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Les termes « réalisme », « précisionnisme » et « régionalisme » représentent différents aspects d’un même courant qu’adoptent les artistes américains au début du XXème siècle en réaction contre le modernisme européen. Le mouvement débute avec l’Ashcan School (l’ « école de la poubelle »), groupe de peintres attachés à la représentation des scènes quotidiennes des quartiers populaires de New York. Parmi eux, on peut citer Robert Henri, qui deviendra par la suite le professeur d’Edward Hopper. L’œuvre de Hopper est devenue l’emblème du courant réaliste américain. Les scènes qu’il représente sur la toile donnent l’impression d’être des scènes réelles, saisies sur le moment par le regard du spectateur, comme l’illustre le tableau Oiseaux de nuit (ou Noctambules). Ce tableau témoigne de l’influence qu’ont exercée sur Hopper deux peintres impressionnistes, Edgar Degas et Edouard Manet. Grâce à eux, Hopper apprend à tirer une tension dramatique de la distance laissée entre les éléments du tableau. Il comprend que cette distance crée un espace mental susceptible d’accueillir toutes les interprétations du spectateur. Entre 1913 et 1923, Hopper travailles comme illustrateur de magazines. Il déteste ce travail, mais y perfectionne son sens de la composition et y apprend à épurer ses traites. Noctambules, réalisé en 1942, est un large tableau réaliste, d’une grande sobriété. Le spectateur peut y voir un dîner inspiré d’un restaurant de Greenwich Avenue, à New York. Ses néons fluorescents constituent la seule source de lumière du tableau. L’œuvre de Hopper a souvent été qualifiée de « cinématique » en raison de ses profonds contrastes entre lumière et ombre, qui rappellent l’éclairage dramatique des films noirs. C’est pour cette raison, et pour son exploration de ce que le sociologue américain Richard Sinnett appelle le « paradoxe de la solitude en pleine visibilité », que la description que donne Hopper à la vie moderne dans l’Amérique des années 1930 et 1940 continue à nous émouvoir. Si l’on étudie les détails du tableau, ce sentiment est d’autant plus renforcé. La caisse enregistreuse est le seule élément visible du magasin plongé dans le noir. On peut voir en elle la dénonciation d’une société basée sur l’argent, les prémices de notre société de consommation actuelle. L’homme et la femme semblent plus proches du fait du vaste espace qui les entoure, mais ce ne sont peut-être que des étrangers, plongés chacun dans des pensées privées. Ce sont peut-être eux les « oiseaux de nuit » du titre, clients insomniaques ou rapaces en quête de proie. Les deux percolateurs métalliques près du serveur constituent un pendant inanimé au couple assis au bar. Ils sont mis en valeur par leur éclat vif, et semblent avoir autant d’importance que les personnages eux-mêmes. Hopper représente avec un réalisme minutieux les plus petits détails, comme la salière et le poivrier, la serviette, les tasses et le sandwich que tient la femme. L’œil du spectateur est attiré par ces éléments, qui se détachent du fond désert et sombre du tableau. Le troisième client, le dos tourné au spectateur, le regard fixé droit devant, à demi plongé dans l’obscurité, passe d’abord inaperçu. Il constitue cependant un élément important de la composition, en contribuant à l’impression de réalité opaque, mystérieuse laissée par le tableau.

Comme eux, nombreux sont les créateurs qui réalisent que, dans ce contexte, aucune production artistique ne saurait être anodine. La Maison de la Culture à Paris inaugure la « querelle des réalismes » (Louis Aragon, André Malraux, René Crevel et Jean Cassou en 1934-1935 et puis les Cahiers d’art en 1939) prônant un art engagé lisible, réaliste, anecdotique, accessible à tous, condamnant de manière sous-jacente les peintres abstraits. Le chef surréaliste André Breton entreprend une action commune avec Leon Trotsky exilé au Mexique : ils fondent la Fédération Internationale pour un Art Révolutionnaire Indépendant et rédigent un manifeste qui définit la situation actuelle de l’art comme intolérable et qui postule que seule la révolution sociale peut frayer la voie à une nouvelle culture. En Allemagne, les photomontages de John Heartfield et la satire de George Grosz, tous deux membres du parti communiste, dénoncent explicitement la montée du nazisme. On peut inclure dans cette catégorie le photoreportage humaniste qui, extirpant des images sur le vif, montre par des clichés anecdotiques et accessibles comment les événements politiques s’impriment dans la vie des hommes. D’autres artistes, notamment ceux proches du surréalisme, résistent par un art plus personnel, reflétant sur un mode métaphorique l’irrationalité du monde – les monstres de Miró, les machines éruptives inquiétantes de René Magritte, les chimères de Max Ernst. Ces questions se posent aussi aux artistes américains : quelques-uns tentent de rendre compte, de manière moderne et non conventionnelle, de leur engagement international et universel dans une Amérique trop repliée sur la création-narration de ses mythes propres. Autre possibilité, les artistes travaillant en Italie fasciste ou en Allemagne nazie s’engagent par la satire déguisée : les allégories érotiques ou bibliques de Renato Guttuso ou de Mario Mafai, les caricatures aux notes classicisantes d’Otto Dix et de Rudolf Schlichter. Les paysans dépités de Kazimir Malevitch en URSS nous renseignent sur le désespoir des révolutionnaires, anarchistes et trotskystes, confrontés à la terreur stalinienne. Il y a aussi le silence, souvent ambigu. Le Départ de l’Allemand Max Beckmann qui s’obstine à en nier la métaphore politique, les photoreportages au conformisme imposé du russe Alexander Rodchenko, les dessins de Paul Klee affligé par son exil forcé hors de l’Allemagne. Or, l’exil est également une manière de résister. Orchestré, certes, à la fin des années trente par le gouvernement américain qui veut récupérer les grands noms de la culture européenne, l’exil sauve d’une mort certaine des créateurs plus ou moins affirmés.

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