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Est-ce parce qu'ils sont ignorants que les hommes ont des croyances ?

Par   •  23 Avril 2018  •  2 858 Mots (12 Pages)  •  882 Vues

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Ces passions sont d'autant plus dangereuses qu'elles sont inconscientes la plupart du temps et que d'autres individus les connaissant mieux sont capables d'en tirer profit en nous manipulant, tout comme les terroristes manipulant des adolescents perdus en quête d'un sens à leur existence ou les nazis sous le Troisième Reich. Ainsi, les peurs et désirs de toute-puissance de certains Allemands ont été accentuées par des leaders se jouant de leurs passions, là où l'ignorance seule n'aurait pas suffi pour rallier tant de suiveurs. Ce qui est encore plus dangereux que la méconnaissance des phénomènes scientifiques et de l'Histoire telle qu'elle est vraiment, c'est donc le fait de ne pas se connaître soi-même et de ne pas être capable de maîtriser ses passions. Face aux démagogues, tout individu ignorant ses passions, même s'il possède des savoir-faire divers, sera facilement conquis par le discours séduisant d'un orateur habile sachant comment persuader au mieux son auditoire – comme le prétend Gorgias dans Le Gorgias de Platon. Un orateur pourrait amener un individu à croire n'importe quoi, tout en le persuadant qu'il sait là où il ne fait que croire. C'est bien là encore les passions qui ont un rôle prédominant dans la naissance de croyances irrationnelles. Mais ne pourrait-on pas aller plus loin en considérant que la religion en elle-même, au-delà de ses excès fanatiques, ne s’enracinerait que dans les passions humaines et serait finalement un délire collectif ?

Pour Nietzsche comme pour Freud, le fait de croire en Dieu est en effet une illusion délirante, une névrose niant complètement la réalité. Freud explique en quel sens la croyance religieuse découle de désirs inconscients tel que le fait de désirer échapper à sa vulnérabilité en se raccrochant à un Père providentiel, protecteur, tout-puissant. L'existence de Dieu répond également à notre exigence de justice et nous garantit une vie éternelle, comblant nos peurs de la mort et de l'injustice impunie. Enfin, la foi est pour Freud une façon de résoudre son complexe d’Œdipe en supprimant la culpabilité d'avoir détesté son père biologique durant l'enfance : pour se racheter d'avoir souhaité la disparition de son père, l'individu se met à aimer de manière démesuré un père de substitution qui s'incarne dans l'image de Dieu. La foi est chez Freud infantilisante, une sorte de névrose collective ayant gagné l'humanité et dont on ne pourrait se détacher qu'en apprenant à se connaître. De même, chez Nietzsche, la croyance religieuse est une maladie gagnant ceux qui cherchent à échapper à l'absurdité de leur existence de mortels, où tous leurs efforts peuvent être réduits à néant du jour au lendemain ; le croyant en veut à la vie d'être si cruelle et se venge en inventant une autre forme de vie, bien plus belle et juste, qui réduit la vie telle qu'il la connaît à une entité méprisable – comportement que Nietzsche qualifie de morbide voire suicidaire... Ainsi, pour Freud et Nietzsche, la foi est un comportement irrationnel ne reposant que sur des désirs inconscients dont l'homme ignore la teneur et qu'il doit apprendre à connaître pour s'en libérer radicalement. Mais tout acte de foi est-il réellement déraisonnable ? Faut-il renoncer dès lors à toute croyance ou peut-il pas y avoir des croyances choisies en connaissance de cause, sans être ignorant ni oublieux de ses passions, qu'il s'agisse de croyances religieuses ou de croyances dans tous les autres domaines ?

Il convient dès lors de se questionner sur le sens réel de nos croyances : ne sont-elles pas nécessaires si l'on veut éviter le scepticisme ? S'il y a certes des croyances à éradiquer, c'est-à-dire toutes celles qui impliquent une vision restreinte et unilatérale voire biaisée de la réalité, certaines ne sont-elles pas dans une certaine mesure rationnelles et utiles ? En effet, les deux premières causes de la croyance, ignorance et passion, paraissent faire d’elle une notion de substitution au savoir et à la vérité, mais la croyance peut avoir en fait une utilité pour raisonner. Si l’individu est conscient de croire et pas de savoir, s'il sait qu'il croit, la croyance, si elle semble vraisemblable, peut être admise temporairement pour arriver plus tard à la vérité. Ainsi, dans le Discours sur la méthode où il cherche la véritable morale, Descartes invente une « croyance rationnelle ». Ne connaissant pas la « vraie morale », Descartes suit une morale provisoire en attendant d’avoir découvert la morale véritable, tout en étant parfaitement conscient de croire. Sa croyance a reçu un examen approfondi et raisonnable afin de ressembler le plus possible à la « vraie morale », sans que Descartes ne cesse pour autant de rechercher ce même idéal moral, ce devoir-être. De la même façon, dans le domaine scientifique, on se base sur des hypothèses qui paraissent vraisemblables afin de pouvoir réaliser des expériences qui permettront par la suite de déterminer si l'hypothèse se vérifie et donc si la croyance devient vérité, tel Galilée qui a vérifié ce qui n'était que théorie en démontrant que la Terre tournait autour du Soleil. Sans cette manière de procéder, si on ne choisit de ne croire en rien et de ne s'appuyer que sur des savoirs avérés, il paraît difficile de faire le moindre progrès scientifique ou même moral. La croyance à forme rationnelle, si tant est qu'elle ait pour le moment résisté aux procédures opératoires de preuves et que l'on a bien conscience qu'elle n'est pas savoir, peut nous permettre d'accéder à de nouveaux savoirs, de nouvelles connaissances ; certaines croyances peuvent ensuite être invalidées par l'usage dès lors que nous avons la capacité de démontrer qu'elles sont erronées. Mais toute croyance n'étant pas objectivement bonne, sur quels critères faut-il alors se baser pour juger correctement nos croyances ?

Face aux croyances, l'attitude la plus raisonnable semble être celle que préconise Descartes : le doute. Chacune de ses croyances doit être confrontée à la raison, examinée par la conscience en dehors de tout préjugé lié à l'éducation ou à l'époque. Cependant, ce doute systématique ne doit pas pas devenir sceptique, dans la mesure où le scepticisme pose un réel souci non seulement au niveau du bonheur individuel mais aussi de la paix civile. Tout remettre en doute et considérer que toutes les opinions se valent, même celles qui se contredisent, paraît problématique puisque cette attitude revient à tout accepter,

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