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Bergson, la conscience est durée

Par   •  23 Mai 2018  •  3 699 Mots (15 Pages)  •  524 Vues

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de définir la conscience ;

la signification générale du mot « conscience » serait incapable de rendre compte de

l’expérience immédiate, vécue, que nous avons de nous-même.

On pourrait objecter à Bergson que sa critique du langage se détruit d’ellemême, en ceci qu’il le critique en l’utilisant : elle est elle-même formulée par des

mots. Mais Bergson n’a pas la naïveté de nous inciter à renoncer au langage : il

s’efforce seulement de l’utiliser autrement. C’est là tout le sens de la distinction

opérée ligne quatre entre définir et caractériser : il ne faut pas partir du langage mais

du réel, ne pas réduire la multiplicité foisonnante et mouvante de la réalité à des

significations générales, mais chercher, par le langage, à décrire l’intuition immédiate

du réel, à approcher au plus près la réalité concrète. Ainsi Bergson invite -t-il le

lecteur à adopter cette démarche en s’installant dans l’expérience familière :

« considérez la direction de votre esprit à n’importe quel moment ».

S’il y a une objection à adresser à l’auteur, elle n’est pas de critiquer le langage

en s’en servant ; la limite de sa position réside plutôt dans la question de savoir si la

conscience que nous avons de nous-même et du réel n’est pas d’autant plus nette

qu’elle est discursive, médiatisée par le discours : c’est parce que nous les nommons

que nous avons une conscience claire des choses ; sans le langage, et pour le dire

avec Kant, nous n’en aurions qu’une « intuition sans concept » : c’est le mot qui

permet d’identifier l’objet de perception.

Si l’on reprend l’exemple de l’amour, proposé dans Le Rire, on peut opposer à

Bergson la formule de Pascal, dans son Discours sur les passions de l’amour : « à

force de parler d’amour, on devient amoureux ». En d’autres termes, il n’y a pas

antériorité du sentiment vécu sur le mot qui viendrait ensuite en appauvrir la richesse

en le nommant, mais c’est en pensant à quelqu’un – par des mots donc – que l’on se

met à l’aimer : le sentiment amoureux naît du langage.

C’est ainsi une description concrète de l’intuition que nous avons de nousmême que Bergson entend livrer. Or si l’on considère l’expérience intime de soi, on

observe que la conscience se caractérise par la « mémoire ». La mémoire est partielle :

l’oubli frappe des pans entiers de mon exist ence. Néanmoins, c’est parce que des

éléments du passé sont conservés par la mémoire que j’ai conscience de moi. Celui

« qui ne conserverait rien de son passé », sur le mode de l’amnésie, saurait qu’il est,

dans le sens où il aurait conscience d’exister, mais il ne saurait pas qui il est : il

n’aurait pas conscience de son identité. Quant à celui dont la conscience

« s’oublierait sans cesse elle-même », comme c’est le cas au début du processus de

dégénérescence dans la maladie d’Alzheimer, il « périrait et renaîtrait à chaque

instant ». Un malade d’Azheimer, avant un stade avancé de la maladie, a encore

conscience de son identité, parce qu’il a conservé des souvenirs anciens, mais il

oublie continûment le tout juste passé et n’a plus conscience de ce qu’il faisait ou de

ce qui vient de se dire. De même à l’échelle collective, un peuple qui n’aurait pas

conscience de son histoire n’aurait pas de sentiment de ce qui fait son unité.

De même qu’il n’y a pas de conscience de soi possible sans rétention du

passé, de même, toute conscience est protension, anticipation de l’avenir. La

conscience est fondamentalement au-devant d’elle-même, projetée vers l’avenir.

Quand elle se concentre sur ce qui est, le présent n’est pas sa fin, il n’est qu’un

moyen ; seul l’avenir est sa fin. C’est le sens de la formule : « l’attention est une

attente » : toute conscience attentive au présent est déjà tournée vers ce qui va être. Il

n’y a pas d’action possible sans réflexion sur sa finalité ; agir est « un empiétement sur

l’avenir », dans le sens où le geste que je suis en train d’accomplir suppose d’avoir

une représentation du but que je poursuis.

De façon paradoxale, comme il avait écrit à la ligne douze que le passé est

conservé « dans le présent », l’auteur suppose, ligne quinze, que « l’avenir est là »,

autrement dit, qu’il est présent. On peut mettre ces expressions en perspective à partir

des analyses qu’Augustin, vers 400, a proposées du temps, dans Les Confessions. Le

problème philosophique qu’il a posé est celui de savoir si le temps est une réalité

physique,

...

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