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Montesquieu, Les Lettres Persanes, Lettre CLXI, 1721

Par   •  30 Septembre 2018  •  2 670 Mots (11 Pages)  •  1 598 Vues

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- La lettre emploie le présent à valeur de futur proche pour montrer que la mort est imminente « je vais mourir » (l. 3) « le poison va couler dans mes veines » (l. «3) souligne la fatalité de cette fin et montrent Roxane face à son destin. Le présent d’énonciation (ou présent d’actualité) : « je meurs », donne au lecteur l’impression d’assister à la mort de l’héroïne sous les yeux d’Usbeck, alors que, selon la cohérence chronologique du roman épistolaire lorsqu’il recevrait le lettre, la jeune femme serait déjà morte depuis plusieurs semaines.

- Le temps d’écriture de la lettre coïncide exactement avec le temps de l’agonie, dans une dramatisation intense : «Je vais mourir» (l. 3) / «je meurs» (l. 4) / «c’en est fait» (l. 19) / «je me meurs» (l. 20). Le style haché final mime la suffocation, l’exténuation, la montée du poison.

2) Roxane figure une héroïne tragique

Alors que Roxane n’est pas le personnage central du roman, la fin coïncide avec la mort de la jeune épouse : ses derniers mots sont les derniers de l’œuvre, sorte de conclusion théâtralisée. Sur ce champ de ruines et de sang qu’est devenu le sérail, la favorite meurt dans un cri de haine et un moment de lucidité tragiques.

- Le nom de « Roxane » rappelle celui de l’héroïne de Racine dans Bajazet qui date de 1672 mais remporte toujours un vif succès. De même, sa passion tragique en fait une amoureuse éplorée (l. 4-5) et sa vengeance meurtrière la rapproche aussi des fureurs d’Hermione (qui demande à Oreste, amoureux d’elle, de tuer Pyrrhus parce qu’il ne l’aime plus) ou de Médée (qui tue les enfants qu’elle a eus avec Jason pour le punir de l’avoir abandonnée) : les références implicites au genre de la tragédie sont donc nombreuses.

- Comme les héroïnes tragiques, Roxane n’a que la mort comme solution. Dans son cas, il s’agit d’échapper à la vie de « servitude » (l.9) à laquelle elle s’est « abaissée » (l. 11) « lâchement » (l.12) de fait dans laquelle elle a vécu.

- Face à sa mort, elle parsème sa lettre de références religieuses « sacrilèges » (l. 5), « sacrifice » (l. 11), « profané » (l. 13). Elle voit dans sa vie avec Usbeck, dans la vie du Sérail une faute, une impureté, une faute : « j’ai profané la vertu » (l. 13) qui peuvent rappeler les derniers mots de Phèdre, l’héroïne de Racine : « Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté/ Rend au jour qu'ils souillaient toute sa pureté ». Elle trouve dans la mort une certaine rédemption.

Par cet acte, loin d’être faible, Roxane s’émancipe et affirme sa liberté : « J’ai toujours été libre » (l. 9), ce qui avec d’autres points, permet de voir en elle une femme moderne.

III/ Une lettre d’une femme des Lumières

- Roxane dénonce l’oppression du sérail

A travers cette lettre, Roxane offre au lecteur un regard nouveau sur la vie du sérail, qui pouvait dans un premier temps sembler un lieu idéal, exotique et sensuel. Elle propose ici le point de vue d’une femme et d’une femme libre.

- La jeune épouse s’exprime contre ce qu’elle a subi avec des expressions allusives et pourtant claires à un mariage qui n’est qu’un viol légalisé : « adorer tes caprices » (l. 8), « ma soumission à tes fantaisies » (l. 13). La « vertu » (l. 13) est effectivement « profané[e] » dans cet esclavage sexuel qu’est le concubinage du sérail.

- Elle s’exprime contre l’inégalité du rapport homme / femme (pouvoir absolu du mari / soumission absolue de l’épouse) qu’elle renverse dans sa question qui établit un parallèle entre les désirs d’Usbek et les siens grâce à l’emploi du polyptote (répétition de plusieurs mots de la même famille) « tout / tous » : « pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d’affliger tous mes désirs ? » (l. 8)

– Elle revendique sa liberté : elle était opprimée physiquement mais libre spirituellement, car son libre arbitre était intact comme le montre l’opposition entre l’asservissement du corps et la liberté de son esprit dans l’expression : « j’ai pu vivre dans la servitude mais j’ai toujours été libre » (l. 9) ; « mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance » (l. 10).

- Un renversement du rapport de forces :

C’est Roxane qui prend l’ascendant sur son sultan et maître – Le sérail devient le lieu de ses délices et non de ceux du sultan, ce que marque l’antithèse « ton affreux sérail / lieu de délices et de plaisir » (l. 1-2). Par ce renversement, le sérail n’est plus le lieu du pouvoir masculin mais de la jouissance féminine. – Alors qu’Usbek la croyait naïve, « que je fusse assez crédule » (l. 7), c’est lui qui l’a été ; elle souligne l’aveuglement d’Usbek dans des formules satiriques : « je me suis jouée » (l. 1), « tu étais étonné » (l. 14). Cette femme émancipée par la quête du plaisir et dominant l’homme par la tromperie annonce la libertine Marquise de Merteuil, personnage au centre des Liaisons dangereuses, roman épistolaire de Laclos, publié en 1782.

- Dans la dérivation « tu me croyais trompée et je te trompais » (l. 17), le chiasme des pronoms personnels « tu me » / « je te », souligne l’inversion du rapport de force : le sujet (Usbek) devient objet, qui subit et l’objet (Roxane) devient sujet, qui agit. – Elle lui dicte de manière moqueuse sa conduite et s’assimile à une déesse puisque c’est traditionnellement au Ciel que l’on rend grâce de quelque chose : « tu devrais me rendre grâces » (l. 11)

– Le renversement est accentué par le parallélisme entre « les transports de l’amour » / « la violence de la haine » (l. 14-15) où l’on note le passage des sentiments apparents de Roxane à ses sentiments réels.

- La critique politique d’une femme éclairée

Roxane apparaît comme une femme éclairée et en accord avec les conceptions des philosophes des Lumières, avec son discours qui s’appuie sur la nature : « j’ai réformé tes lois sur celles de la nature » (l. 9) (contre celles d’un despote - Usbek - qui maltraite la liberté et l’égalité inhérentes aux hommes). Les lois de la nature ont été défendues plus explicitement et plus vigoureusement dans les années qui suivent notamment par Rousseau dans Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) et Diderot dans le Supplément au

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