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Les figures de la paternité dans Le Père Goriot, BALZAC (1835)

Par   •  5 Mai 2018  •  2 076 Mots (9 Pages)  •  1 818 Vues

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Vautrin joue aussi le rôle paternel de celui qui dit la loi, même s’il la détourne et la subvertit, qui fait sortir de l’enfance et accéder à l’âge adulte, celui qui transmet un savoir et une sagesse. Cette initiation est éblouissante de force, de mépris et de lucidité́. Le pacte infernal qu’il propose à Eugène est d’un immoralisme total, mais demande une immense énergie. La société́ est le lieu de combats sans merci, la fortune sourit aux audacieux sans scrupules, à condition qu’ils se donnent l’apparence de l’honorabilité́ : tels sont les préceptes que Vautrin inculque à son protégé (« il devait, comme sur un champ de bataille, tuer pour ne pas être tué, tromper pour ne pas être trompé; où il devait déposer à la barrière sa conscience, son cœur, mettre un masque, se jouer sans pitié des hommes, et, comme à Lacédémone, saisir sa fortune sans être vu, pour mériter la couronne. »). Vautrin se conduit comme un ange du mal qui révèle à son fils spirituel la terrible vérité́ du monde. En héros noir et corrupteur, il promet à son fils adoptif la récompense de ses désirs à condition de renoncer à son âme vertueuse (« Si j'ai encore un conseil à vous donner, mon ange, c'est de ne pas plus tenir à vos opinions qu'à vos paroles. »).

Le père Goriot

Il voir en Rastignac un fils adoptif aimant, fidèle jusqu’à l’accompagner dans son agonie. Il le nomme « son cher enfant » (« Oh ! Mon enfant ! Je serai plus qu’un père pour toi, je veux être une famille. ») et Eugène en retour l’appelle « père », puis « papa » en se penchant sur son lit de mort. Goriot a compris que le jeune homme l’aime plus sincèrement que ses propres filles (« -Oui, mon bon père Goriot, vous savez bien que je vous aime… / -Je le vois, vous n’avez pas honte de moi, vous ! Laissez-moi vous embrasser. »).

Il devient véritablement un « Christ de la paternité ». Il vit sur le mode de la passion, d’abord amoureuse (Mme Vauquer et les pensionnaires croient qu’il reçoit des maîtresses jeunes chez lui : « Mme Vauquer trouva tout naturel qu’un homme riche eût quatre ou cinq maîtresses, et le trouva même adroit de les faire passer pour ses filles ») mais qui, ensuite, s’avère être l’amour d’un père pour ses filles, comme le révélera Rastignac, qui se montre parfois jaloux de cet amour quasi incestueux (« Il se couchait aux pieds de sa fille pour les baiser ; il la regardait longtemps dans les yeux ; il frottait sa tête contre sa robe ; enfin il faisait des folies comme en aurait fait l’amant le plus jeune et le plus tendre. {…} Eugène {…} s’était senti déjà plusieurs fois des mouvements de jalousie ; »).

D’ailleurs, Goriot revit à travers les récits et l’amour de Rastignac pour Delphine. Son amour devient quasi fétichiste ; le père Goriot renifle le parfum d’une lettre de Delphine, demande à Eugène de lui laisser son gilet sur lequel sont tombées les larmes de sa fille. Il fait mal à ses filles en voulant leur exprimer qu’il les aime (« Le vieillard serrait sa fille par une étreinte si sauvage, si délirante, qu’elle dit : -Ah ! tu me fais mal ! »). Il a la passion de ses filles et ne vit que lorsqu’il pense à elles, ce qui lui permet d’endurer toutes les privations qu’il s’inflige au nom de leur bonheur.

Cette passion le pousse à abjurer toute dignité et tout sens des valeurs : il offre à Delphine une garçonnière pour abriter ses amours avec Rastignac, il paie les dettes d’Anastasie, il est prêt à tuer (« je ferai comme Vautrin, j’irai au bagne »). Cela fait d’ailleurs de lui un assez mauvais père car il a corrompu ses filles, ne les a pas réellement éduquées. Il les a élevées au-dessus de leur condition sans leur donner le sens de l’argent, a cédé à leurs caprices (« tout est de ma faute, je les ai habituées à me fouler aux pieds. {…} Je n’ai pas su me conduire, j’ai fait la bêtise d’abdiquer de mes droits. Je me serais avili pour elles ! »). Elles le rendent alors responsable de leurs malheurs, et il vit un véritable chemin de croix, qui le mène à la mort (Goriot est « un homme qui est un père comme un saint, un martyr est un chrétien ») par dévotion pour elles (« un père est avant tout avec ses enfants comme Dieu est avec nous, il va jusqu’au fond des cœurs »). Il dit les aimer mieux que Dieu n’aime sa création, ce qui est blasphématoire. C’est pourquoi il doit expier « le péché de les trop aimer ».

Il trouve du plaisir dans sa douleur, pour lui, aimer, c’est souffrir. Balzac le qualifie de Patiras, terme signifiant souffre-douleur, formé des mots latins Pater (père) et Patior (souffrir). L’auteur condamne en effet la passion absolue, excessive, de son personnage pour ses filles. Le père Goriot montre comment une idée fixe, une obsession consument et détruisent. Son amour devient vice, donc condamnable. Il dévaste celui qui l’éprouve, moralement et physiquement.

Mais le drame de ce père est aussi celui de toute une société (« La société, le monde roulent sur la paternité, tout croule si les enfants n’aiment pas leurs pères »). Le crime contre l’un devient un crime contre l’autre. Le père bafoué représente la corruption d’une société qui renie les valeurs traditionnelles. Le père est la figure d’autorité, au même titre que le roi. Et la situation ne peut que devenir catastrophique lorsque le père abandonne son rôle autoritaire. L’argent, le crime, l’ascension sociale remplacent les vertus du cœur et le respect. Confronté à cette déchéance, et au clair sur le fonctionnement de la société, Rastignac se sentira assez fort pour en partir à la conquête à la mort de Goriot (« A nous deux maintenant ! »). Le décès du personnage prend alors valeur d’accusation d’un ordre social corrompu.

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