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Réponse à un acte d'accusation, Les Contemplations, Victor Hugo

Par   •  4 Novembre 2017  •  2 147 Mots (9 Pages)  •  1 378 Vues

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• C’est enfin un « brigand » (v-20), mais plein de générosité, de sympathie pour les opprimés, les marginaux, compagnon d’Hernani ou de Don César-Zafari, personnages de Ruy Blas, frère des « gueux » (v-5) et des « drôles » (v-5), des « bandits » au grand cœur que l’on croise dans ses drames.

- Un brin d’humour et de lyrisme

• La force des convictions littéraires ou idéologiques n’interdit pas l’humour. Il y a chez Hugo un côté juvénile qui met les rieurs de son côté pour donner plus de force à la satire : ainsi, il caricature l’Académie sous les traits d’une vieille douairière ridicule – on la dirait sortie d’Hernani ou de Ruy Blas – qui abrite sous ses jupons toute une marmaille de « tropes » apeurés (v-23).

• La richesse et l’humour des rimes manifestent l’extraordinaire vitalité du poète : avec une créativité sans pareille, il fait se répondre « dictionnaire » (v-26) et « révolutionnaire » (v-25), « litote » (v-33) et « Aristote » (v-34), « Jocastes » (v-2) et « castes » (v-1), et fait des rapprochements cocasses et provocateurs, d’un simple « F » (v-12) avec « chef » (v-11) et, plus irrespectueusement, de « douairière » (v-22) avec « derrière » (v-21).

• Mais, au détour d’un vers Hugo montre aussi le lyrisme délicat dont il est capable : il évoque, par quelques mots tout simples, la naissance d’une idée, à la fois oiseau léger et Vénus sortie de l’onde, entre ciel et mer, « tout[e] humide d’azur » (v-32).

III] Art poétique en action et engagement idéologique

Derrière cette mise en scène spectaculaire, Hugo propose un vrai cours d’histoire littéraire – et même d’histoire tout court.

- Une prise de position en littérature : blâme et éloge

• Dans ce manifeste qui répond à « un acte d’accusation », Hugo énonce clairement ses préférences littéraires, rejetant en bloc le Classicisme et décernant éloge et blâme. Il se limite au théâtre et ne fait référence qu’aux dramaturges (Corneille, Molière, Racine). Mais, sans sa partialité, il ne distingue pas le génie de Racine et de l’influence réductrice de théoriciens comme « Vaugelas » (v-11). En mettant au pluriel les héroïnes tragiques, Hugo les dévalorise, il les banalise et feint de croire que les « Phèdres » (v-2), les « Méropes » (v-3) et autres « Jocastes » (v-2) se ressemblent toutes et sont interchangeables.

• Corneille a droit à sa sympathie et à son admiration. Quand il le déclare « trop grand » (v-17), Hugo fait allusion à la personnalité de Corneille, qui ne fait aucune concession aux puissants, mais aussi à la morale héroïque et généreuse de ses héros, qui plaît à Hugo.

• Au-delà de la contestation du Classicisme, Hugo s’inscrit dans un débat littéraire ancien entre deux extrêmes : d’un côté le goût de la profusion, de l’émotion, du rêve, le refus de l’harmonie, le rejet des règles et des modèles ; de l’autre, la recherche de l’équilibre, de la sobriété, de la clarté et de la perfection formelle.

- La question précise du vocabulaire : richesse contre sobriété

• Se plaçant plus précisément sur le terrain du vocabulaire, Hugo revendique le droit d’utiliser tous les mots selon ses besoins, le droit d’appeler un chat un chat, un chien un « toutou » (v-38) et un cochon… un « cochon » (v-40).

• Pour plus d’efficacité, il argumente par l’exemple. Il ne s’interdit pas le plaisir – proscrit par Boileau dans L’Art poétique – de jouer avec les sonorités de « quelque mot éclatant », de faire sonner, comme une trompette guerrière, « populace » (v-10), « patibulaires » (v-5), « s’encanaille » (v-18) pour leur donner à la rime les échos les plus inattendus.

• Certes, cette audace connaît des limites : Hugo continue à jouer avec les figures de style et garde l’alexandrin. Mais quelle démonstration éblouissante de l’efficacité de cet alexandrin disloqué ! Il enchaîne rejet, contre-rejet, enjambement dans une poésie qui choisit l’exubérance, le désordre et l’expressivité contre l’harmonie, la mesure, l’équilibre.

• Le texte offre enfin l’exemple du mélange de « sublime » et de « grotesque » qu’il réclamait, la « Préface » de Cromwell, pour le drame romantique : il fait ainsi une caricature ridicule de l’Académie, se décrit en héros épique, évoque avec lyrisme l’idée « tout[e] humide d’azur » (v-32) ou, presque pathétique, un pauvre mot « blotti »(v-16) dans un vers.

- Engagement politique et social

• « Le romantisme, c’est le libéralisme ( = ici : doctrine centrée autour des libertés individuelles – et non libéralisme économique ) en littérature », écrit Hugo qui met en parallèle, dans sa « Réponse », la révolution des mots et la révolution des idées. L’engagement littéraire se double ici d’un engagement politique et social.

• En 1856, Hugo, exilé, se considère comme le dernier gardien de la liberté républicaine confisquée par Napoléon III. Il reporte sur les mots méprisés sa sympathie pour ceux qui les emploient et qui sont au ban de la société. C’est une véritable « Déclaration des droits » des mots qu’il profère, inspirée par l’idéal de la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité », qu’il oppose à la langue classique, présentée ici comme la langue d’une classe, d’une « caste » (v-1) aristocratique, celle de l’ancien régime de « Versaille[s] » (v-4).

Conclusion :

Texte-manifeste, « Réponse à un acte d’accusation » n’a rien perdu de son intensité. Hugo, sous la forme d’un mini-drame, fait de sa révolte et de ses engagements romantiques une œuvre poétique à part entière, plus éloquente et plus convaincante que ne le serait un essai théorique.

Au moment où Hugo, regardant plus de vingt ans en arrière, écrit ce texte, depuis deux ans est né celui qui fera subir un nouveau tremblement de terre à la poésie : Rimbaud. Or, si ce jeune rebelle rejette toutes les gloires littéraires du XIXème siècle, il rendra justice à Hugo, dans lequel il reconnaîtra un aîné en voyance : « Celui-là, il a vu » dira-t-il de lui.

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